La rhétorique sécuritaire cache un problème de santé publique

L’événement dramatique de samedi dernier à Québec a ramené la gestion de la détresse psychologique dans le débat public. Pour Régis Labeaume, appuyé par plusieurs maires, les problèmes de santé mentale « sont les plus grands problèmes de sécurité dans les grandes villes canadiennes pour les prochaines décennies ». Selon la Fédération des policiers et policières municipaux du Québec (FPMQ), entre 60 et 80 % des appels reçus concernent la santé mentale.
Des professionnels de la santé rapportent de leur côté que le cadre juridique concernant la confidentialité des informations médicales est un obstacle dans la gestion du risque que représentent certains usagers. Faciliter la transmission d’informations permettrait une plus grande collaboration entre professionnels de la santé, mais aussi entre professionnels de la santé et services policiers. Elle permettrait également aux familles d’agir plus promptement et adéquatement en plus de surveiller la prise de médication. Or, on peut se demander si nous ne sommes pas collectivement en train de faire fausse route. Le problème que posent la détresse psychologique et ses risques est évident, mais est-ce réellement une question de sécurité publique ?
La levée de la confidentialité du dossier médical
La confidentialité possède une fonction symbolique importante en santé mentale. En conformité avec le droit à la vie privée, ce principe garantit à l’usager que les informations inscrites à son dossier ne sont pas communiquées à autrui sans son consentement. En facilitant les confidences de la personne sur sa vie et sur ses difficultés, ce principe permet aux professionnels de la santé d’obtenir des informations essentielles à la planification des soins et des services. Il leur permet également de mieux estimer les risques découlant de la détresse psychologique. Amenuiser la garantie de confidentialité n’aurait-elle pas comme effet paradoxal de rompre la relation de confiance et de contraindre davantage la pratique professionnelle de même que l’estimation et la gestion de ces risques ?
Les recherches menées à ce jour laissent penser que ce problème concerne plutôt les pratiques organisationnelles contribuant à l’exclusion des familles et des proches comme partenaires de soin. Leur accompagnement, leur intégration au plan d’intervention et la réponse à leurs besoins sont, faut-il le rappeler, des pratiques compatibles avec le respect de la confidentialité. Un tel soutien demande toutefois du temps et des ressources. L’état actuel des services de santé mentale le permet-il ? De plus, l’incohérence des politiques institutionnelles et des formations sur la confidentialité fait en sorte que les professionnels, craignant les réprimandes et les blâmes, prohibent souvent tout partage d’informations avec l’entourage des usagers. La question de la confidentialité et de ses usages se pose. Si on met l’accent sur la sécurité publique au détriment de la santé publique pour justifier la levée de la confidentialité, la lecture des événements tragiques que l’on aurait voulu éviter emprunte une voie éthiquement problématique.
Il n’est en effet pas certain que de tels événements dramatiques pourraient être évités si les règles concernant la confidentialité étaient modifiées. D’une part, il faut garder à l’esprit que la transmission d’informations est possible avec le consentement des usagers. Les recherches démontrent à cet égard qu’ils consentent le plus souvent à la transmission d’une certaine information lorsque sa pertinence leur est expliquée et que des échanges permettant d’en déterminer l’étendue ont lieu. D’autre part, sans le consentement des usagers, il est possible pour les professionnels de collecter de l’information auprès des familles, mais aussi de lever le secret professionnel et de divulguer des informations pour prévenir des actes de violence. Les exceptions existent donc, mais elles ne sont manifestement pas infaillibles.
Les changements législatifs ne changeront rien aux décennies de négligence politique qui ont mené à des vagues de désinstitutionnalisation désordonnées, à l’absence de financement des organismes communautaires, aux coupes démesurées dans les services sociaux, à la privatisation des services de santé, mais aussi à l’aggravation des inégalités socio-économiques qui sont un facteur de risque documenté de développement des problèmes de santé mentale. Des changements législatifs ne changeront pas non plus le fait que, en corollaire de ce désinvestissement dans le soutien aux personnes et aux familles, les dépenses fédérales et provinciales en sécurité publique ont augmenté de 65 % depuis 2003. La réaction à l’événement dramatique de samedi dernier met donc en lumière une nouvelle fois comment l’arbre de la rhétorique sécuritaire cache la forêt d’une grave crise de santé publique en ce qui concerne la détresse psychologique.