Quand la DPJ se tourne vers les parents violents

«L’idée que les enfants ne sont pas affectés par la violence si elle n’est pas exercée directement envers eux est largement dépassée», écrit l'auteur.
Photo: iStock «L’idée que les enfants ne sont pas affectés par la violence si elle n’est pas exercée directement envers eux est largement dépassée», écrit l'auteur.

« Par moments, on a ce choix déchirant d’être obligés d’aller vers le parent le plus neutre. Le parent le plus neutre, pour la DPJ, c’est celui qui ne parle pas contre l’autre, qui ne fait pas d’aliénation parentale. Si le père ou la personne violente n’a pas exercé sa violence envers l’enfant, aussi extrême que ça puisse paraître de l’extérieur par moments, c’est le parent qui a exercé une violence conjugale qui devient le parent le plus apte à offrir un milieu à l’enfant qui est neutre et qui permet d’aimer et maman et papa. »

Ces propos ont été tenus par Josée Morneau, Directrice de la protection de la jeunesse de la Montérégie, dans le cadre d’un reportage de Sophie Langlois diffusé à Radio-Canada le 26 octobre dernier. Ce reportage a mis en lumière l’incapacité des services de protection de la jeunesse à intervenir adéquatement dans les situations de violence conjugale. Mais ce qui est particulièrement troublant dans les propos de cette directrice, c’est qu’ils témoignent d’une méconnaissance de la situation des enfants vivant dans un contexte de violence conjugale et d’un manque flagrant de jugement quant aux comportements parentaux qui compromettent la sécurité et le développement des enfants.

L’idée que les enfants ne sont pas affectés par la violence si elle n’est pas exercée directement envers eux est largement dépassée. Il est reconnu, depuis plusieurs décennies, que les enfants sont affectés par la violence exercée par leur père à l’endroit de leur mère. En plus d’être fréquemment exposés aux incidents de violence et aux menaces, ces enfants vivent au quotidien dans un climat de tensions et de terreur. Ils ont le sentiment de marcher constamment sur des œufs et craignent souvent pour leur propre sécurité et pour celle de leur mère. Les propos de Mme Morneau révèlent donc une méconnaissance des conséquences de la violence conjugale sur les enfants, ce qui est particulièrement étonnant si on considère que l’exposition à la violence conjugale est reconnue, depuis 2006, comme une forme de mauvais traitements psychologiques dans la Loi sur la protection de la jeunesse.

Les intervenants de la DPJ ont tendance à ignorer les comportements violents des pères dans l’évaluation de leurs capacités parentales, ce qui est une grave erreur. Lorsque certains pères font le choix d’avoir recours à la violence à l’endroit de leur conjointe, ils font aussi le choix d’exposer leurs enfants à la violence conjugale. Cette violence est donc un choix parental et un important indicateur des capacités parentales de ces pères. En plus de placer les enfants dans un climat de tensions et de terreur, le contexte de violence conjugale n’est pas favorable à leur développement émotionnel et social, à leurs apprentissages et à leur épanouissement. De plus, en s’attaquant à la mère des enfants, ils limitent la capacité de celles-ci à répondre aux besoins des enfants et nuisent à la relation mère-enfant.

Selon Mme Morneau, le parent le plus « neutre » est celui qui est le plus apte à répondre aux besoins des enfants, même s’il est violent à l’endroit de l’autre parent. Elle ajoute que le parent « neutre » est celui qui ne parle pas contre l’autre parent. Si nous convenons que, de manière générale, il n’est pas souhaitable qu’un parent parle contre l’autre parent, il est ridicule d’affirmer qu’un tel comportement est plus grave et plus lourd de conséquences que le fait d’agresser ou de menacer la mère de l’enfant, souvent en présence de l’enfant.

Par ailleurs, Mme Morneau ne semble pas reconnaître que, dans un contexte de violence, les mères peuvent avoir de bonnes raisons de poser des questions aux enfants et de discuter des comportements violents du père avec eux, dans le but d’assurer leur sécurité. Avec une analyse aussi simpliste, ces mères sont inévitablement accusées de manquer de « neutralité » et d’être « aliénantes », ce qui peut les amener à perdre la garde de leurs enfants.

S’il est important de critiquer les propos de cette Directrice de la protection de la jeunesse, il ne faut surtout pas oublier qu’ils sont le reflet d’une tendance plus large, et que ces pratiques, au lieu d’assurer la protection des enfants, compromettent encore davantage leur sécurité.

* Texte cosigné par Isabelle Côté, professeure à l’École de service social, Université Laurentienne ; Alexandra Vincent, Michèle Frenette et Patrick Ladouceur, candidats au doctorat en service social, Université d’Ottawa. Les auteurs sont membres du Collectif de recherche féministe anti-violence.

À voir en vidéo