Homards, Micmacs et colonialisme vert

La violence s’est intensifiée la semaine dernière contre des pêcheurs et des pêcheuses micmacs de la Première Nation de Sipekne’katik en Nouvelle-Écosse : entrepôt endommagé, véhicule brûlé, récoltes pillées ou volées. Des pêcheurs allochtones leur en veulent d’avoir amorcé leur saison de pêche deux mois avant la saison régulière.
Depuis 20 ans, la rigidité grandissante des réglementations sur la protection de la ressource a affecté tous les homardiers et homardières de la région. Aujourd’hui, certains réutilisent pourtant ces mêmes arguments contre la minorité qui conserve le droit de pêcher hors saison. Certains quotas de conservation, pour les homards, les baleines ou les phoques, démontrent d’ailleurs la plus grande confiance accordée à la science environnementale occidentale qu’aux connaissances situées des communautés locales.
La violence envers la communauté micmaque va à l’encontre des traités canadiens « de paix et d’amitié » signés avant 1779, qui permettent aux Premières Nations de pêcher pour s’assurer un « moyen de subsistance convenable ». En 1999, le jugement Marshall de la Cour suprême du Canada confirmait ce droit en permettant au Micmac Donald Marshall Jr. de pêcher des anguilles hors saison et de les vendre. La « subsistance convenable » dépasse donc la simple consommation pour inclure une commercialisation raisonnable.
Avec environ sept bateaux actifs de 50 trappes (donc 350 au total), la pêche de la Première Nation de Sipekne’katik est une fraction de la pêche commerciale (autochtone et allochtone) qui débutera le mois prochain. Celle-ci regroupe 979 bateaux avec permis ayant chacun entre 350 et 400 trappes. Difficile de croire que la pêche des Micmacs nuise au stock de homards.
Au nom de la nature
Cela est représentatif d’un colonialisme vert, soit des pratiques qui priorisent la protection de l’environnement au détriment de populations locales, ou qui utilisent des arguments environnementaux pour déposséder ces derniers. Ce colonialisme vert désigne aussi la construction d’énergies « vertes » qui détruisent l’environnement des communautés autochtones.
Au nom de la nature, des Micmacs sont dépossédés de leur moyen de subsistance, des Aymaras sont dépossédés de leurs terres et des Africains sont dépossédés de leurs modes de vie. Certaines initiatives visant à sauver l’humanité d’un désastre environnemental ressemblent donc drôlement aux pratiques coloniales.
Dans l’Oaxaca au Mexique, par exemple, la côte de l’Istmo a été assaillie dans les années 2010 par des entrepreneurs d’éoliennes qui, avec l’approbation du gouvernement, déplacent de force les habitants ou font exploser le coût de la vie des villages avoisinants. Des communautés autochtones doivent souvent abandonner leurs terres et la nature avec laquelle elles ont développé des relations symbiotiques, afin de permettre à des compagnies de produire et de vendre de l’électricité « verte ».
L’usage de la force en Afrique
Dans son livre L’invention du colonialisme vert : pour en finir avec le mythe de l’Éden africain, Guillaume Blanc explique comment des Occidentaux défendent les forêts, les girafes et autres « puretés naturelles » contre des communautés africaines. Il accuse des organisations comme le World Wildlife Fund (WWF) de criminaliser les populations locales, devenues à leurs yeux braconniers et destructeurs d’une nature « pure ». Malheureusement, cette Afrique pure n’a jamais existé, sauf peut-être dans Le roi lion.
En Europe, toutefois, les cultures et la chasse traditionnelles sont tout à fait respectées. Dans les Cévennes françaises, qualifiées de patrimoine mondial, l’UNESCO célèbre le « renouveau contemporain de l’agro-pastoralisme » et la « perpétuation des activités traditionnelles », alors que dans les montagnes éthiopiennes du Simien, l’UNESCO accuse les installations humaines et les cultures de menacer « l’intégrité » du parc national. Dans plusieurs nouveaux parcs nationaux, des organisations de défense de l’environnement érigent des barrières pour empêcher les communautés locales de manger les fruits sauvages réservés aux éléphants ou aux tigres.
Comme l’a découvert Guillaume Blanc, en 2016, l’Éthiopie a suivi les recommandations de l’UNESCO et a expulsé de force environ 2500 cultivateurs et bergers qui vivaient dans le parc du Simien, certains depuis des générations. Le colonialisme vert, explique-t-il, est « une entreprise globale qui consiste à naturaliser l’Afrique par la force, c’est-à-dire à la déshumaniser ».
Le mensonge de la conservation
Au Kenya, des organisations européennes mènent une campagne onéreuse pour sauver un rhinocéros dernier de son espèce et lui donner des hectares de terres, en empêchant violemment les communautés locales d’y chasser. C’est ce que les écologistes Mordecai Ogada et John Mbaria appellent le « mensonge de la conservation ». Ils dénoncent le racisme de certains mouvements environnementalistes qui priorisent une nature idéalisée devant la survie de populations locales. Alors que les touristes sont bienvenus dans certains parcs pour rendre ceux-ci profitables, les gardes intimident, volent et battent les populations locales pour les en expulser.
Les populations autochtones et locales protègent pourtant beaucoup mieux la nature que les citadins, justement en raison de leur cohabitation avec elle. Le colonialisme vert est donc paradoxal, puisque c’est nous qui devrions apprendre de ces communautés en ce qui concerne le respect de la nature et la protection de l’environnement, que ce soit les Baka au Congo, les Chenchus en Inde ou les Micmacs au Canada.
Les habitants des parcs éthiopiens et les pêcheurs micmacs ou allochtones de subsistance ne sont pas ceux qui détruisent la nature et vident les océans. Ce sont les compagnies minières, les multinationales agroalimentaires et les sociétés consuméristes qui le font. Oui, il est impératif de se sortir de la crise climatique, mais il ne faut pas le faire au détriment de populations à qui on a déjà trop pris.