La poudrière caucasienne à la croisée des puissances

Le Haut-Karabakh — également connu sous le nom de Nagorno-Karabakh ou République d’Artsakh — est depuis plusieurs jours le théâtre de violents affrontements entre les forces armées d’Azerbaïdjan et d’Arménie. Le conflit n’est pas récent : il a débuté en 1988, lorsque le Karabakh, soutenu par l’Arménie, a proclamé unilatéralement son indépendance de l’Azerbaïdjan. Depuis, Bakou et Erevan se disputent cette enclave ethnique située au cœur du territoire azéri et peuplée majoritairement d’Arméniens.
Le cas du Haut-Karabakh s’apparente à celui de la Transnistrie, de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, ou encore des Républiques de Donetsk et Lougansk — ces régions qui, à l’ère postsoviétique, se sont séparées de la Moldavie, de la Géorgie ou de l’Ukraine. Elles ont acquis leur indépendance de facto à l’issue de conflits armés, mais appartiennent, au regard du droit international, à l’État de jure dont elles ont fait sécession.
Au-delà des considérations légales, le conflit dans le Haut-Karabakh découle de dynamiques historiques complexes : il est le produit d’une dispute territoriale non réglée entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, amorcée il y a près d’un siècle, à laquelle se mêlent les revendications indépendantistes des Arméniens du Karabakh. Aujourd’hui, trente ans après les accords de cessez-le-feu qui ont mis fin à la guerre d’indépendance, ce petit territoire au cœur du Caucase demeure une poudrière, une situation imputable en grande partie à l’absence de modus vivendi entre les parties impliquées et à l’engagement dans la région de grandes puissances aux intérêts géopolitiques divergents.
La genèse du conflit
Le début du XXe siècle marque l’apparition des hostilités entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie pour le contrôle du Karabakh. La situation semble s’apaiser en 1922, lorsque les deux pays sont unifiés aux côtés de la Géorgie sous la bannière de la République soviétique de Transcaucasie. Le Haut-Karabakh obtient le statut de région autonome, sous contrôle de l’Azerbaïdjan.
Mais les divisions territoriales et administratives décidées par Staline, couplées aux politiques soviétiques des nationalités, contribuent à la résurgence des conflits dans la région. Le système de passeports internes, instauré en 1932, place la nationalité au centre de l’organisation sociétale ; l’institutionnalisation des catégories nationales qui en découle favorise l’émergence progressive de particularismes identitaires — dont celui des Arméniens du Karabakh.
Si les dynamiques conflictuelles qui entourent la région résultent de plusieurs décennies de tensions interethniques, c’est l’échec des réformes politico-économiques entreprises sous Gorbatchev (perestroïka et glasnost) qui fournit l’espace de contestation nécessaire à l’affirmation des identités nationales. L’affaiblissement du pouvoir central mène, à la fin des années 1980, à une série de déclarations unilatérales d’indépendance un peu partout en Union soviétique. Le Haut-Karabakh fait ainsi sécession de l’Azerbaïdjan en 1988, avec le soutien de l’Arménie qui l’assiste dans ses efforts militaires.
Les accords de cessez-le-feu conclus en 1994 sous la supervision du Groupe de Minsk (coprésidé par les États-Unis, la France et la Russie) aboutissent à un « gel » du conflit — qui ne concerne que l’aspect diplomatique. Sur le terrain, les hostilités se poursuivent ; l’affrontement le plus meurtrier se produit en 2016, lors de la guerre des Quatre Jours, dans la zone de contact entre le Haut-Karabakh et l’Azerbaïdjan. Les événements actuels s’inscrivent donc dans la continuité d’un conflit qui n’a jamais vraiment pris fin.
À la croisée des puissances
Pour l’heure, la Russie cherche à s’imposer en médiatrice. Les liens étroits qu’elle entretient avec l’Arménie et l’Azerbaïdjan dans le cadre de sa politique de « l’étranger proche » pourraient lui permettre de conduire les belligérants à la table des négociations. Mais son approche ambiguë n’est pas gage de neutralité : bien que membre du Groupe de Minsk, elle vend des armes à Bakou et à Erevan, tout en étant l’alliée de l’Arménie, avec qui elle a conclu une alliance militaire.
La Turquie, membre de l’OTAN, a exprimé son soutien inconditionnel envers les forces armées azéries. Dans les faits, Moscou a intérêt à éviter une intervention directe d’Ankara sur le terrain, laquelle menacerait sa position hégémonique dans le Caucase duSud. Les experts n’excluent pas un déploiement des forces russes dans la région, à la faveur d’un débordement du conflit.
Le désengagement des États-Unis et l’absence de consensus entre les membres de l’OTAN sont deux autres facteurs d’inquiétude ; sans médiation internationale, le risque d’une escalade du conflit est grand.