L’humanité niée de Joyce Echaquan

Rassemblement à la mémoire de Joyce Echaquan mardi à Joliette
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Rassemblement à la mémoire de Joyce Echaquan mardi à Joliette

Joyce Echaquan, Attikamek de la communauté de Manawan, est décédée dans des circonstances plus que troublantes à l’hôpital de Joliette le 28 septembre dernier. Une illustration de plus, comme s’il en fallait, du racisme systémique auquel sont confrontés les Autochtones dans les services publics, tel que mis en lumière dans le rapport de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec (commission Viens) déposé le 30 septembre 2019. Un an après, où en sommes-nous ?

Dans son rapport, le juge Viens indiquait déjà qu’il est « impossible de nier la discrimination systémique dont sont victimes les membres des Premières Nations et les Inuits dans leurs relations avec les services publics ». Il ajoute qu’« à la lumière de nombreux témoignages citoyens, force est d’admettre que les préjugés envers les Autochtones demeurent très répandus dans l’interaction entre les soignants et les patients », et que « de [son] point de vue […], les voix entendues sont assez nombreuses pour affirmer que les membres des Premières Nations et les Inuits ne se sentent pas en sécurité lorsque vient le temps de mettre leur santé entre les mains des services publics ».

La mort de Joyce Echaquan est une tragédie. Apparemment surmédicamentée, elle aura néanmoins eu le soupçon d’énergie nécessaire pour se filmer et documenter le traitement qui lui était infligé par le personnel soignant. Un an après le dépôt du rapport de la commission Viens — qui s’est précisément attardé sur cet hôpital —, constater que rien n’a été fait est outrageant.

Où sont les femmes ?

Le 6 décembre 1989, 14 jeunes femmes sont assassinées à l’École polytechnique de Montréal parce qu’elles sont femmes. Cela aura pris 30 ans à admettre qu’il s’agissait bien d’un « attentat antiféministe ». Aujourd’hui, nous faisons face à un autre déni collectif, celui des femmes autochtones assassinées et disparues. Doublement bafouées, parce que femmes et Autochtones, donc doublement niées. Au Canada, les femmes autochtones risquent six fois plus d’être assassinées que les autres femmes.

Les femmes autochtones assassinées et disparues sont une réalité pancanadienne. En 2015, le gouvernement fédéral a institué l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Le processus sera long et douloureux, ponctué de mésententes, mais aboutira néanmoins, en juin 2019, au dépôt d’un rapport d’une grande importance, doublé d’un rapport spécifique pour le Québec. Le rapport révèle une violence systémique contre les femmes autochtones. On y parle de génocide, cela dérange, comme les mots « attentat antiféministe » dérangeaient en 1989.

C’est aussi en 2015 que nous avons pris connaissance, avec horreur, des menaces et autres abus subis par les femmes autochtones de Val-d’Or de la part de policiers de la Sûreté du Québec. Ce qui aura donné lieu à la commission Viens.

Le résultat : un rapport important avec de nombreuses recommandations des plus pertinentes, même s’il était déconcertant de constater que les recommandations concernant spécifiquement les femmes autochtones, leur sécurité et leur intégrité physique et mentale étaient à proprement parler inexistantes. De fait, sur les 13 recommandations concernant les services de police, aucune ne concerne les femmes autochtones. De même pour les 16 recommandations concernant les services de justice.

La stérilisation forcée que subissent encore de nos jours les femmes autochtones… en milieu hospitalier… y est passée sous silence.

Nonobstant ces critiques, l’ensemble des recommandations qui y sont présentes sont plus que valides. Les constats ont été faits. Les actions à entreprendre pour résoudre les problématiques sont connues. Les recommandations sont claires à cet effet. Nous ne pouvons plus attendre.

Faudra-t-il encore 30 ans, pour sortir de ce déni collectif ? Combien de Joyce Echaquan cela nous prendra-t-il encore pour agir ?

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