Des excuses s’imposent

Manifestation contre la Loi sur les mesures de guerre, sur la Colline du Parlement à Ottawa le 18 octobre 1970
Photo: La Presse canadienne Manifestation contre la Loi sur les mesures de guerre, sur la Colline du Parlement à Ottawa le 18 octobre 1970

Quand le premier ministre Justin Trudeau, aux prises avec des barricades partout au Canada pour protester contre le pipeline Coastal Gaslink, a déclaré : « Il n’est pas question d’envoyer l’armée contre des citoyens canadiens », les cloches auraient dû sonner au Québec et au Canada. Car son père n’avait pas eu de tels scrupules 50 ans plus tôt.

Peu de gens se rappellent que beaucoup de ses contemporains, d’éminents Canadiens anglais, en avaient, et ils l’ont critiqué vivement pour sa décision d’imposer les mesures de guerre.

Le chef historique du Nouveau Parti démocratique, Tommy Douglas, père de l’assurance maladie au Canada, a mené le bal. Le jour même, le 16 octobre, quand 12 500 soldats canadiens occupaient le Québec — dont 7500 à Montréal —, que des centaines de personnes se faisaient arrêter chez elles au milieu de la nuit et que la police effectuait des milliers de perquisitions, Tommy Douglas a déclaré à la Chambre des communes : « En ce moment même, la Constitution canadienne, la Déclaration des droits et les diverses constitutions provinciales sont suspendues. Le gouvernement a aujourd’hui le pouvoir, par simple décret du conseil, de faire tout ce qu’il veut : interner des citoyens, expulser des particuliers, arrêter n’importe qui ou déclarer subversive ou illégale n’importe quelle organisation. Il s’agit là d’énormes pouvoirs. »

Il a aussi évoqué l’absence de « la moindre preuve » fournie par le gouvernement à l’appui de sa thèse « d’insurrection appréhendée ».

Tommy Douglas était un opposant de longue date de la Loi des mesures de guerre. Il se rappelait comment, dans les années 1940, il avait été chassé de la scène lorsqu’il s’était opposé aux mesures de guerre utilisées contre les Canadiens de descendance japonaise. Il a dénoncé les règlements adoptés sous cette loi qui ont permis au gouvernement du Canada d’interner tous les Canadiens d’origine japonaise, dont la grande majorité nés au Canada, et de confisquer leur propriété. Le prétexte : des Japonais allaient faire exploser des trains et bien d’autres choses. Mackenzie King a reconnu par la suite qu’il n’en avait rien été. (Ça rappelle la fameuse « insurrection appréhendée ».)

En 1988, le gouvernement du Canada a reconnu ce crime et s’est excusé.

Des membres du Conseil des ministres de Trudeau ont aussi été très critiques. Don Jamieson, ministre des Transports, a écrit dans ses mémoires que « nous n’avions pas de motifs sérieux » pour penser qu’il y avait « insurrection appréhendée ». Il était de l’avis de plusieurs que les ministres québécois du cabinet de Trudeau (Jean Marchand, Gérard Pelletier, Bryce MacKasey) ainsi que son secrétaire principal, Marc Lalonde, utilisaient cette loi pour combattre leurs adversaires politiques au Québec, que ceux-ci soient fédéralistes comme Claude Ryan ou souverainistes comme René Lévesque.

Eric Kierans, ministre des Communications, a consacré des pages entières de ses mémoires à cette « injustice massive ». En décrivant la réunion du Conseil des ministres du 15 octobre, il rappelle que John Robarts, premier ministre de l’Ontario, appelait à « la guerre totale » contre les terroristes, que les éditoriaux des journaux canadiens réclamaient en hurlant une action radicale. Il ajoute que les déclarations de certains collègues ministres (Jean Marchand, Gérard Pelletier, John Turner) « enflammaient et endossaient » cette hystérie. « Nous avons perdu le gros bon sens ; c’était un acte de foi aveugle. »

Kierans conclut : « C’est Tommy Douglas du NPD qui s’est levé en Chambre, jour après jour, critiquant sans cesse le gouvernement pour avoir suspendu nos droits civiques. Il a fait preuve d’un grand courage politique. »

Certains disent que la Loi des mesures de guerre était nécessaire pour arrêter les membres du FLQ. Mais le grand spécialiste des questions de sécurité au Canada, le professeur Reg Whitaker, sur la base de recherches approfondies, écrit dès 1993 : « La GRC n’a jamais réclamé la Loi des mesures de guerre, n’a pas été consultée quant à son utilité, et s’y serait opposée si on avait demandé l’avis de ses dirigeants. »

L’autre raison invoquée était l’histoire d’un « gouvernement provisoire » sous la direction de René Lévesque, de Claude Ryan et de Louis Laberge de la FTQ. Cette sornette a paru la première fois dans The Toronto Star. Or, Peter C. Newman, rédacteur en chef du Toronto Star à l’époque, l’a dégonflée avec aplomb dans ses mémoires. « Ce scénario était un mensonge méticuleusement concocté » par le premier ministre Trudeau et son secrétaire principal, Marc Lalonde. « Tous les deux, dit-il, m’ont menti sur les raisons pour lesquelles les mesures de guerre ont été imposées. »

Le chef du NPD de l’époque, Tommy Douglas, a eu raison de dénoncer les mesures de guerre en 1940 utilisées contre les Canadiens de descendance japonaise. Et il a eu encore raison on 1970.

L’heure est venue pour le gouvernement du Canada de présenter des excuses.

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