En finir avec les mythes au sujet du FLQ et d’octobre 70

«Le FLQ fut un authentique mouvement révolutionnaire qui a rassemblé, par vagues successives, quelques centaines de militants et plusieurs milliers de sympathisants», écrit l'auteur.
Photo: Jacques Grenier Archives Le Devoir «Le FLQ fut un authentique mouvement révolutionnaire qui a rassemblé, par vagues successives, quelques centaines de militants et plusieurs milliers de sympathisants», écrit l'auteur.

On ne parviendra jamais à convaincre des gens qui préfèrent croire aux théories du complot plutôt qu’à la vérité des faits. Et pourtant, les faits sont têtus.

Le récit de l’histoire du Front de libération du Québec et de la crise d’octobre 1970 a souvent été empreint de paranoïa, une obsession dont l’autre nom, plus explicite, est le délire d’interprétation chronique. Tous les faits et les événements sont alors perçus comme les preuves d’une machination, les signes que des ennemis puissants complotent contre vous et vous manipulent.

Ainsi, l’histoire de la mort de Pierre Laporte, chargée de non-dits, a été à l’origine de maintes théories conspirationnistes. Ces fabulations, voire ces mythes, s’expliquent par le silence de ses ravisseurs et la légende qu’ils ont eux-mêmes fabriquée autour de cet assassinat odieux, mais non prémédité. Au contraire de ce qu’ils ont toujours prétendu, le ministre n’a pas été « exécuté » par le FLQ. De sources fiables, nous savons que ses ravisseurs avaient décidé de l’emmener à l’hôpital le plus proche à la suite des blessures graves qu’il s’était infligées, la veille, en tentant de s’évader par une fenêtre. Or, avant même que ce projet ne puisse se réaliser, M. Laporte, désespéré, a été la proie d’une crise d’agitation très violente. Comme il criait de toutes ses forces et risquait d’alerter le voisinage, un de ses ravisseurs, en tentant de le maîtriser, l’a étranglé de façon involontaire lors d’une empoignade.

Autre récit imaginaire : depuis ses débuts, le FLQ aurait été manipulé, voire téléguidé, par la police. N’allez surtout pas raconter ces balivernes aux policiers qui, pendant dix ans, jusqu’en 1972, ont travaillé à démanteler une douzaine de réseaux du FLQ et un essaim de cellules, même si le mouvement était souvent artisanal. Malgré les indicateurs et la création — après la crise d’Octobre — de fausses cellules, le FLQ fut un authentique mouvement révolutionnaire qui a rassemblé, par vagues successives, quelques centaines de militants et plusieurs milliers de sympathisants. Il fut, à bien des égards, la version québécoise d’un terrorisme qui explosait partout à l’échelle internationale lors de ces années de feu. Le bilan humain du FLQ fut lui aussi bien réel : dix morts, dont quatre militants, des dizaines de blessés, et près de 300 attentats à la bombe.

Dernier exemple de conspirationnisme : la crise d’Octobre aurait été un coup monté du gouvernement canadien dirigé par Pierre Elliott Trudeau. Or, cette crise a été provoquée par l’action du FLQ, qui en fut le détonateur en commettant les deux premiers enlèvements politiques en Amérique du Nord. Au nom de la raison d’État, les autorités ont refusé de négocier. À l’extrémisme du FLQ a répondu l’extrémisme du pouvoir. Le gouvernement fédéral a profité de l’occasion pour déclencher une vaste opération de répression contre les indépendantistes et le Parti québécois, sa principale cible. Il l’a fait en agitant deux épouvantails : une « insurrection appréhendée » fictive et la menace d’un « coup d’État », ourdi par un « gouvernement parallèle » dont le leader du PQ, René Lévesque, aurait été l’âme dirigeante, avec l’appui du numéro deux du parti, Jacques Parizeau, et du directeur du Devoir, Claude Ryan.

Ces histoires de croque-mitaine ont servi de prétexte à des représailles implacables : le déploiement de l’armée au Québec, la proclamation de la Loi sur les mesures de guerre, la suspension des libertés civiles, l’arrestation de quelque 500 personnes (497, officiellement), presque toutes innocentes, et — on l’oublie trop souvent — une déferlante de 36 000 raids et perquisitions. Ce coup de force, digne des régimes totalitaires, fut perpétré de concert avec le gouvernement Bourassa à Québec et l’administration Drapeau-Saulnier à Montréal.

Après la terrible répression qui s’est abattue sur le Québec lors de la crise d’Octobre, l’action illégale du FLQ est apparue encore plus désespérée et sans issue, malgré quelques soubresauts parfois dramatiques en 1971-1972. La voie légale et démocratique s’est alors imposée, celle du Parti québécois. C’est ce que répétait depuis longtemps René Lévesque, qui a toujours condamné la violence tout en rappelant cette vérité : « Le terrorisme est le symptôme vivant d’une maladie, il n’en est pas la cause » C’est Lévesque et le PQ qui ont vaincu le terrorisme, bien davantage que Trudeau et tous les corps policiers.

Tout compte fait, l’action radicale du FLQ n’a pas nui au Parti québécois, qui fut élu à peine six ans après la crise d’Octobre, et huit ans après sa fondation, ce Grand Soir du 15 novembre 1976. Elle a plutôt montré que le PQ était la meilleure option possible, tout comme elle l’est encore aujourd’hui puisqu’il est le seul parti dont la raison d’être est de faire l’indépendance du Québec.

Le Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN), un mouvement pionnier, a été fondé par une poignée de « séparatistes » il y a soixante ans cette année, le 10 septembre 1960, au début de la Révolution tranquille. Le Parti québécois a pris la relève et ce fut le début d’une formidable avancée, surtout pour la majorité historique francophone d’ici. Mais deux référendums plus tard, le Québec n’est toujours pas un pays.

Nous devons à nouveau faire la preuve que l’indépendance reste le meilleur moyen, voire le seul, pour assurer la pérennité en Amérique du Nord d’une nation qui compte aujourd’hui plus de 8,5 millions d’habitants. Réaliser l’indépendance de notre patrie est un objectif en soi, un projet de société exaltant qui devrait faire rêver les jeunes en quête de grands chantiers à entreprendre, comme la création d’un pays vert. Un pays de langue française, fier de ses racines et de son histoire. Un pays républicain et laïque, qui vivra à sa façon, enrichi de l’apport de ses peuples autochtones, de sa minorité anglophone et de tous ces gens venus de partout pour vivre ici avec nous. Un pays ouvert sur le monde et prêt à se joindre au concert des nations.

* L’auteur lance ces jours-ci une troisième édition de son livre FLQ. Histoire d’un mouvement clandestin (VLB éditeur), considéré comme une référence sur le sujet. Le Devoir publie des extraits du prologue de cet ouvrage revu, mis à jour et enrichi.

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