«Blade Runner» 2020, la science-réalité

Des feux de forêt font rage dans l’État de la Californie. Rien de nouveau. Nous sommes, en quelque sorte, habitués à ces récits catastrophes qui font désormais partie du calendrier comme, par exemple, la saison des ouragans ou des inondations.
Or, les présents feux de forêt dans la grande région de San Francisco nous offrent de nouvelles images saisissantes : une métropole peinte d’un ciel rougeâtre comme si la ville était elle-même la proie des flammes. Plusieurs ont fait un lien direct avec les images tournées pour le film Blade Runner 2049, réalisé par Denis Villeneuve. On peut même retrouver une vidéo qui présente une collection des images tournées à San Francisco avec la bande originale du film composée par Hans Zimmer et Benjamin Wallfisch : l’affect est immédiat, et c’est à s’y méprendre.
Ainsi, globalement regroupés autour de nos écrans, d’une certaine manière toujours confinés au sein d’une pandémie planétaire, vivons-nous notre propre science-fiction ?
Le film Blade Runner 2049 raconte l’histoire d’un cyborg qui tente de réconcilier son existence et son univers à travers l’accomplissement de son rôle, de sa mission, de son travail, soit éliminer les siens, d’autres cyborgs jugés hors la loi.
Aujourd’hui, force est d’admettre que nous vivons nous-mêmes une situation similaire.
Placés devant l’inéluctable spectacle de la destruction de notre habitat, nous tentons tant bien que mal de réconcilier notre existence à travers nos propres accomplissements : mon emploi, ma famille, ma routine. Les feux de forêt de la grande région de San Francisco, la Mecque du développement technologique occidental — tout ce qui doit rendre nos vies mieux adaptées —, ne sont pas dépourvus d’ironie : nous détruisons actuellement notre environnement au profit de notre évolution technologique, au détriment de nos semblables.
La ville de San Francisco, comme plusieurs autres grandes villes de la Californie, mais également du monde entier (on n’a qu’à penser aux tentes de la rue Notre-Dame à Montréal), voit grandir depuis plusieurs années une nouvelle classe sociale d’itinérance au même rythme que l’enrichissement des grandes élites.
Entre les deux, une classe moyenne de plus en plus grande qui ne se trouve pourtant pas mieux servie : l’endettement moyen des foyers ainsi que l’incapacité d’accéder à la propriété, tout en vantant les mérites du télétravail où on pousse à la limite la notion d’habiter son milieu de travail, rendent les travailleurs de plus en plus esclaves de leur réalité aspirationnelle.
Dans une scène du film Blade Runner 2049, le cyborg rencontre un hologramme nu gigantesque à l’image de sa partenaire de vie (elle aussi un hologramme), avec qui il mène une vie rangée, voire traditionnellement nucléaire. Cet hologramme, qui n’est que sa concubine en apparence, lui promet de tout lui dire ce qu’il souhaite entendre, ce qu’il souhaite voir. Complètement détruit, sanguinolent, le cyborg témoigne de son hyperréalité : il n’est pas humain, sa vie n’est pas humaine, ses désirs ne sont pas humains, sa compagne de vie et ses sentiments ne sont pas humains ; il n’est même pas lui-même, il est complètement autre, et ce, même s’il saigne.
Tout comme le cyborg, face au spectacle de la destruction de notre environnement, même lorsque nous y apposons une musique tirée d’un récit de science-fiction sur les images de notre réel, sommes-nous en mesure de prendre complètement conscience de notre statut, de nos gestes ? Ces images ne sont-elles pas rendues possibles par le développement technologique, quasi holographique, qui est précisément à la racine de notre propre dé(con)struction ?
Nous quittons actuellement un monde qui nous sera bientôt ancien, pour le meilleur ou pour le pire : nous ne vivons plus la science-fiction, nous avançons globalement dans une nouvelle ère de science-réalité et tout cela se déroule non seulement devant nos yeux, mais surtout à propre gré.
Lorsque le cyborg prend conscience, à la suite de sa rencontre avec l’hologramme, les paroles suivantes résonnent en lui : « Mourir pour une cause juste, c’est la chose la plus humaine qui soit. »
Reste à savoir si nous nous estimons justes.