En enseignement, la présence, autant que faire se peut

«Tout comme un manuel obligatoire ne fait pas un cours, le dépôt de capsules vidéos, de présentations et de textes sur une plateforme numérique ne suffit pas à créer un terrain fertile pour l’apprentissage», pense l'auteur.
Photo: Samuel Brown Getty Images «Tout comme un manuel obligatoire ne fait pas un cours, le dépôt de capsules vidéos, de présentations et de textes sur une plateforme numérique ne suffit pas à créer un terrain fertile pour l’apprentissage», pense l'auteur.

Avec la rentrée scolaire, en particulier dans les cégeps, la question de l’enseignement « virtuel » est devenue presque virale. Des récits personnels, des entrevues et des analyses dans les médias font écho depuis quelques semaines à des prises de position manquant parfois de nuance. Ayant pendant 20 ans participé à la recherche sur l’intégration pédagogique des nouvelles technologies dans le réseau collégial, à la conception de programmes de perfectionnement des enseignants en la matière et donné des dizaines de cours « virtuels », je me suis senti interpellé à participer au débat opposant le virtuel au « présentiel ».

Il ne se trouvera guère de personnes œuvrant dans la recherche ou la pratique professionnelle réfléchie pour ne pas reconnaître que la relation pédagogique a plus de chances de s’épanouir en présentiel plutôt que de façon virtuelle. L’enseignement/apprentissage est un acte de communication, et plus les modes de communication sont nombreux et variés, mieux le message passe. C’est un principe fondamental qui veut qu’en pédagogie on privilégie la présence, autant que faire se peut. Le désarroi ressenti ces temps-ci à propos des cours « en ligne » prend comme point de comparaison le « présentiel ». Il me semble évident qu’en raison des règles de santé publique, le présentiel est actuellement limité, voire, dans certains cas, impossible. Ce n’est donc pas à la présence qu’il faut opposer les cours virtuels, mais plutôt à l’absence de cours.

Je veux ajouter un élément de réflexion à cette question de la présence. De quelle présence parlons-nous ? Il se donne dans les universités des cours à de grands nombres d’étudiants rassemblés dans des amphithéâtres où il serait bien difficile de trouver trace de la chaleur humaine et du contact personnalisé que l’on attribue sans nuances au présentiel.

Inversement, il est possible d’assurer, à certaines conditions, la présence dans des cours à distance. Les cours virtuels se déclinent en plusieurs modalités, chacune ayant des effets variés sur la relation pédagogique, selon le nombre d’élèves inscrits, selon que la formation est assurée par un professeur ou des tuteurs, selon qu’elle est synchrone ou asynchrone.

Quelles sont les modalités de formation virtuelle qui offrent les meilleures conditions pour assurer un maximum de présence ? Celles qui mettent en contact un professeur, maître des contenus enseignés et responsable de la pédagogie utilisée, avec des élèves qui ont des conditions propices aux échanges entre eux et avec le professeur. En d’autres mots, ce sont des cours montés par des professeurs qui les « donnent » à leurs élèves et qui se « donnent » à eux en se rendant disponibles.

Tout comme un manuel obligatoire ne fait pas un cours, le dépôt de capsules vidéos, de présentations et de textes sur une plateforme numérique ne suffit pas à créer un terrain fertile pour l’apprentissage. Il faut que les élèves découvrent qu’il y a quelqu’un derrière l’écran, un enseignant ou une enseignante qui s’est engagé(e) à concevoir et à développer du matériel pédagogique original de qualité, des exercices variés et stimulants, qui fait des appels téléphoniques, assure des moments de rencontre en vidéo, anime des groupes de discussion. Le don de soi du professeur, le don de son cours aux élèves, invite ces derniers à se donner en retour et à s’engager dans leur apprentissage.

Au sujet de l’évaluation, on entend beaucoup parler de plagiat dans les cours virtuels. Il serait illusoire de penser que le problème est exclusif à l’enseignement à distance. Une partie peu discutée de ce problème concerne les outils utilisés pour évaluer les apprentissages. Des examens dont chacune des questions attend une seule bonne réponse augmentent la possibilité de tricherie. Autant en classe qu’en ligne, les évaluations qui demandent des productions originales différentes d’un élève à l’autre sont moins sujettes à plagiat. Il existe aussi des outils et des techniques pour limiter et détecter les cas de tricherie.

Mettre au point des cours riches par leur contenu, leur matériel, leur pédagogie, des cours que l’on est fier de donner et qui incitent au contre-don de la part des élèves, cela demande du temps et du savoir-faire. Malheureusement, la grande majorité des professeurs qui se sont trouvés forcés de passer à l’enseignement virtuel n’y étaient pas préparés. Les connaissances pratiques et théoriques en matière d’intégration pédagogique réussie des technologies ne datent pourtant pas d’hier ; elles s’accumulent et évoluent depuis 20, voire 30 ans. Pour que le virage vers le « tout-en-ligne », temporaire, espérons-le, se fasse harmonieusement, il faut aussi que les services de soutien à l’enseignement des collèges et des universités soient présents.

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