Le complotisme et la crise de la connaissance

«Il est devenu urgent de fournir aux élèves les outils intellectuels pour apprendre à mieux rechercher l’information et à faire preuve d’esprit critique», selon l'auteur.
Photo: Esteban Felix Associated Press «Il est devenu urgent de fournir aux élèves les outils intellectuels pour apprendre à mieux rechercher l’information et à faire preuve d’esprit critique», selon l'auteur.

Le lundi 3 août, l’Institut national de santé publique du Québec publiait les résultats d’une étude qui relevait les croyances des Québécois au sujet de la pandémie, notamment leur tendance à adhérer aux théories du complot.

L’étude révélait que plus du tiers de la population adhère à une forme de complotisme. Plus tôt en mai, une étude de l’Université de Carleton révélait également que 46 % des Canadiens sondés souscrivaient à au moins une théorie du complot.

Qu’est-ce qui explique cette popularité du complotisme ? Il s’agit en fait plus profondément d’une crise globale de la connaissance elle-même, ce que certains nomment l’ère de la « post-vérité ». Le lien est évident avec la saga des « fausses nouvelles » et des « faits alternatifs » qui évoquait déjà un embrumage de notre capacité collective à connaître.

En 2018, l’OCDE nous rapportait d’ailleurs que moins d’un élève de 15 ans sur dix était capable de faire la distinction entre un fait et une opinion. C’est dire que nous assistons depuis maintenant plusieurs années à une dégradation rapide et constante de notre capacité collective à distinguer le vrai du faux.

Philosophes, historiens, sociologues et autres chercheurs savent bien que nous étions engagés dans ce déclin bien avant l’apparition des médias sociaux. Ceux-ci sont malgré tout sévèrement critiqués pour la propagation généralisée de fausses informations et la diffusion sélective des publications qui confortent les croyances des utilisateurs.

Or, la recherche scientifique est, elle aussi, partiellement coupable : son opacité abstraite et la technicité de son langage ont eu tôt fait de distancier le citoyen moyen de la connaissance scientifique. D’autres avancent que cette « ère de la post-vérité » résulte de l’abandon de la vérité religieuse, d’autres encore accusent l’individualisme exacerbé des sociétés capitalistes avancées.

En somme, même si les causes sociales et historiques de la crise sont multiples et complexes, il importe néanmoins de ne pas concevoir l’état des choses actuel comme un événement tout à fait nouveau, mais comme l’une des conséquences concrètes de cette crise qui peut sembler abstraite. Nous observions avec humour la popularité croissante de mouvements comme les « flat earthers » et autres théories qui versent dans l’absurde. Aujourd’hui, cet obscurantisme fragilise la santé publique à l’ère des anti-masques et des anti-vaccins.

Trouble global

 

Comment affronter ce trouble global de la connaissance ? C’est dans le slogan des complotistes « Faites vos recherches ! » que se trouve la possibilité d’un point d’entente : il faut apprendre à mieux connaître. C’est justement là que se trouve le nœud du problème : pour mieux connaître, nous devons apprendre à mieux chercher.

Comment reconnaître une bonne source d’information ? Comment croiser différentes sources pour limiter les biais de l’information ? Comment déterminer si un argument est logiquement fondé ou non ? Quels sont les faux arguments (sophismes) fréquemment utilisés pour convaincre ? Comment être critique sans pourtant être indûment sceptique ? C’est pourquoi il est devenu urgent de fournir aux élèves les outils intellectuels pour apprendre à mieux rechercher l’information et à faire preuve d’esprit critique.

En février dernier, le ministère de l’Éducation du Québec menait de discrètes consultations sur la refonte du programme d’études Éthique et culture religieuse (ECR). La refonte du cours d’ECR est apparue à plusieurs comme l’occasion parfaite de fournir aux élèves une formation philosophique de base qui leur permettrait de s’éveiller à une réflexion sur la vérité et la connaissance. Après tout, la philosophie est reconnue pour favoriser le développement de l’esprit critique, de la pensée logique et de la compréhension de textes complexes.

Il est selon moi urgent que la société québécoise enseigne à ses jeunes à mieux connaître. Le rôle de l’école dans ce contexte de crise est d’autant plus stratégique dans la mesure où les autorités scolaires ont la responsabilité vitale de fournir aux élèves les moyens de ne pas être emportés dans les dérives de la post-vérité.

Plus que jamais, un enseignement rudimentaire de la philosophie répond de façon exemplaire au rôle de l’école secondaire face à ce défi. Devant un taux d’analphabétisme fonctionnel au Québec qui flirte autour de 50 %, il y a un important travail à accomplir pour faire face aux grandes incertitudes économiques et climatiques qui s’annoncent.

Prendre acte de la crise de la connaissance implique que nous agissions collectivement afin de fournir à la jeunesse les outils nécessaires pour répondre aux dangers toujours plus présents de la mésinformation et de la désinformation, sans quoi le complotisme deviendra le lieu commun de tous ceux et celles qui voient le monde leur échapper.

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