Contre le tribunal populaire

De la même façon qu’il serait absurde d’enfermer une personne coupable d’homicide involontaire pour 25 ans sans possibilité de libération conditionnelle, la sanction populaire administrée à Maripier Morin semble défier toute forme d’équivalence d’avec l’acte commis, pensent les auteurs.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir De la même façon qu’il serait absurde d’enfermer une personne coupable d’homicide involontaire pour 25 ans sans possibilité de libération conditionnelle, la sanction populaire administrée à Maripier Morin semble défier toute forme d’équivalence d’avec l’acte commis, pensent les auteurs.

L’organisation de notre système de justice se retrouve à nouveau sous la loupe à la suite des dénonciations, ayant fait boule de neige, qu’a entraînées l’affaire Maripier Morin et Safia Nolin. Plusieurs personnes ont soulevé les dangers engendrés par cette nouvelle sphère de justice parallèle que sont les réseaux sociaux, plus particulièrement en ce qui a trait à la disparition de la présomption d’innocence et à la condamnation par le tribunal populaire. C’est toutefois à un autre fondement de l’État de droit qu’il importe de s’attarder ici, et qui semble avoir été assez peu relevé dans la sphère publique jusqu’à présent : la proportionnalité de la peine en fonction de la gravité du crime commis.

Le 8 juillet dernier, le chroniqueur Yves Boisvert soulignait dans un gazouillis sur Twitter, pour rappeler la gravité de l’acte de Maripier Morin, que mordre un individu constitue une voie de fait, c’est-à-dire une infraction de nature criminelle. Si cela est exact, Boisvert omet néanmoins de mentionner que plusieurs formes de voies de fait sont mentionnées dans la loi, allant de la voie de fait simple à la voie de fait grave en passant par la voie de fait causant des lésions corporelles. Les sanctions qui y sont associées varient entre l’amende et la peine de prison.

Or, sans vouloir nous substituer à la magistrature, la morsure commise par Maripier Morin à l’endroit de Safia Nolin ne s’apparente-t-elle pas à une voie de fait simple, la morsure n’ayant pas causé de lésion corporelle, soit « une blessure qui nuit à la santé ou au bien-être d’une personne et qui n’est pas de nature passagère ou sans importance » (article 2 du Code criminel) ?

La peine par procédure sommaire associée à la voie de fait simple est traditionnellement une amende de quelques milliers de dollars accompagnée d’une absolution conditionnelle ou encore, dans le cas d’une suggestion commune de la poursuite et de la défense, de travaux d’intérêt général associés à un don à un organisme de charité. Puisque Morin a reconnu les faits, il y a fort à parier que la procédure sommaire aurait été privilégiée par le juge. Au regard des critères de proportionnalité et d’harmonisation, les sanctions tout juste citées semblent donc raisonnables pour une morsure à la cuisse ayant causé une ecchymose.

Une peine disproportionnée

 

Voilà qui ne correspond pas à la peine imposée à Maripier Morin en vertu de sa condamnation par le tribunal populaire : perte de contrats professionnels et de commandites, excommunication de la sphère publique, mise en péril probable de ses cercles sociaux et familiaux. Que ce soit sur le plan financier ou sur le plan symbolique, il est impossible de croire avec sincérité que les conséquences assumées par Maripier Morin sont « proportionnelles » à une amende et à une probation, ou encore à des travaux d’intérêt général. De la même façon qu’il serait absurde d’enfermer une personne coupable d’homicide involontaire pour 25 ans sans possibilité de libération conditionnelle, la sanction populaire administrée à Maripier Morin semble défier toute forme d’équivalence d’avec l’acte commis.

C’est tout aussi vrai du point de vue de l’harmonisation des peines lorsqu’on constate que des personnes qui auraient possiblement commis des voies de fait causant des lésions corporelles ou des voies de fait graves (violence conjugale par exemple), ou encore des infractions de nature sexuelle (exploitation, incitation, contact, etc.), seront sanctionnées par le tribunal populaire de « mort sociale » au même titre que Maripier Morin. Toute faute ne mérite-t-elle pas une peine à sa mesure ?

La justification la plus souvent entendue pour légitimer cette justice parallèle est que notre système de justice serait complètement mésadapté aux réalités des dynamiques relevant des agressions sexuelles. Il n’est pas difficile de le croire : les tribunaux semblent effectivement avoir du mal à évoluer sur ce plan. Cet argument constitue toutefois un sophisme de la double faute et ne devrait pas orienter la réflexion sur les solutions à mettre en œuvre. Car si des réformes importantes sont réellement nécessaires quant à l’accès à une justice équitable pour les affaires d’agressions sexuelles, l’instauration d’un système parallèle pose problème au regard des principes fondamentaux de la justice. La substitution à un mal d’un mal différent n’a jamais frayé la voie à une société meilleure et plus juste.

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