Faut-il ressusciter Québecair?

Des avions de Québecair (premier plan) et Nordair, sur le tarmac de l'aéroport Dorval, vers 1975. 
Photo: Piergiuliano Chesi CC Des avions de Québecair (premier plan) et Nordair, sur le tarmac de l'aéroport Dorval, vers 1975. 

À Québec, cette semaine, les partis d’opposition ne parvenaient pas à cacher leur excitation après l’annonce, par le ministre des Transports, d’un scénario possible de création d’un transporteur aérien public québécois. Ils imaginaient la scène au caucus quand François Bonnardel poserait la question : « Qui pourrait bien diriger cette compagnie ? Qui a l’expérience du démarrage d’un transporteur aérien ? » Les ambitieux et les opportunistes — il en resterait à la CAQ — porteraient alors un regard insistant et flagorneur sur l’ancien dirigeant d’Air Transat qui, épuisé paraît-il, par la pandémie qui s’achève, mérite bien de retourner à ses premiers amours…

Mais M. Legault sait que le monde de l’aviation commerciale a bien changé. Depuis les débuts de Québecair et de Nordair, au tournant des années 1950, les transporteurs régionaux pouvaient alors compter sur de généreux contrats fédéraux pour la liaison des villages et des bases aériennes en territoires autochtones. Puis, il y eut les grands projets hydroélectriques, miniers et forestiers, où la main-d’œuvre devait être ramenée périodiquement, par air, vers le sud.

Au tournant de la Révolution tranquille, la famille Brillant de Rimouski donnera des ailes à Québecair au moment où le réseau routier de l’est du Québec n’offrait pas une réelle option aux voyageurs désireux de se rendre à Montréal. Il faut dire que les revenus stables de Québec-Téléphone équilibraient le bilan du conglomérat qui devait soutenir les fluctuations du transporteur aérien.

La gestion d’une flotte d’appareils n’est pas une sinécure. C’est un métier difficile que la gestion du prix des sièges à mesure que la date du départ arrive. Les frais fixes sont énormes : le carburant, l’amortissement de l’appareil et le personnel de bord coûtent le même prix, peu importe le nombre de passagers. Peu d’entreprises survivent à long terme dans un tel environnement ; pour les grands marchés, seule la formule d’un quasi-monopole (Air Canada) ou d’un cartel mouvant — modèle américain actuel — peut assurer le fonctionnement d’un modèle fragile.

Même M. Alfred Hamel, un entrepreneur de Saint-Félicien, rusé et malin, mais sans aucune expérience de l’aviation commerciale, échoua dans sa reprise de Québecair.

C’est ainsi que le gouvernement du Québec se retrouva en 1981 propriétaire majoritaire de Québecair que certains appelaient l’« avion bleu » en raison de la couleur de ses ailes alors que d’autres la surnommaient la « compagnie de demain », non pas pour ses caractéristiques futuristes, mais parce que l’avion arrivait souvent le lendemain de la date prévue…

Durant cinq ans, Québec essaya plusieurs stratégies, avec des regroupements et d’autres manœuvres discutables. Finalement, l’autre transporteur régional québécois, Nordair, mit la main sur Québecair en 1986. Le Trésor public perdit 80 millions $ dans cette première aventure collective des Québécois dans le transport aérien. Nordair disparut rapidement dans la consolidation de CP Air, qui fut à son tour la proie d’une firme américaine.

En fait, ce n’est que récemment que les francophones commencent à s’intéresser au transport maritime et aérien. Ottawa s’est retiré en 1991 de la gestion des petits aéroports, puis des grands, laissant ces installations importantes pour le développement économique des régions entre les mains des municipalités qui ont des moyens restreints et des corporations sans capital qui gèrent ces équipements avec une reddition de compte limitée. Mais le développement d’un pôle aéronautique, notamment sur la rive sud, a accru l’intérêt des Québécois de langue française au monde aéronautique.

Quelques transporteurs privés, comme Pascan, Air Creebec, essaient tant bien que mal de survivre dans cet univers difficile. Entre deux villes importantes, il y a toujours un flux de passagers réguliers. Mais il nous est parfois arrivé de faire le parcours Montréal-Rouyn ou Bonaventure comme passager unique en compagnie des deux pilotes. […]

Même si la population de ces régions augmente peu, Québec devrait se doter rapidement d’une politique d’aide et de développement des transporteurs aériens régionaux. Ces entreprises ont besoin de petits appareils flexibles et sécuritaires ; les Airbus de Transat sont utiles pour les vols nolisés, mais trop coûteux pour les dessertes régionales. Les villes et les aéroports devraient aussi contribuer à un redéploiement du réseau régional aérien. L’industrie du tourisme aussi pourrait se montrer active dans cette relance. Il faudra bien un jour expliquer aux consommateurs pourquoi aller à Paris coûte moins cher que de se rendre à Cap-aux-Meules.

Pour ce qui est de la création de Québecair.2, il faudra voir d’abord comment le secteur privé peut arriver à offrir une offre convenable. La multiplication des visioconférences aura certainement un impact sur les gens d’affaires et les fonctionnaires qui vont y penser deux fois avant de dépenser une petite fortune dans le vol Sept-Îles-Gaspé.

D’ici là, M. Legault peut demeurer aux commandes de l’appareil québécois et faire fonctionner un réseau de la santé pour que les passagers âgés se rendent à destination.

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