Les chargés de cours crient au secours 

Les chargés de cours n’ont pas de sécurité d’emploi et peuvent être exclus de ce métier par des mesures discriminatoires souvent sans appel, par la direction d’un département ou par l’Assemblée départementale des professeurs.
Photo: iStock Les chargés de cours n’ont pas de sécurité d’emploi et peuvent être exclus de ce métier par des mesures discriminatoires souvent sans appel, par la direction d’un département ou par l’Assemblée départementale des professeurs.

Cette crise socio-sanitaire causée par la pandémie de la COVID-19 affecte tout le monde, et le mot « monde » y prend tout son sens. Comme nous l’entendons dire parfois, « on est chanceux de vivre ici », dans un contexte d’abondance occidentale. Mais cela ne doit pas nous permettre d’oublier les injustices qui se vivent chez nous.

Dans le milieu universitaire québécois, la pandémie met en relief des vulnérabilités socio-économiques dont nous désirons vous faire part. Nous sommes chargés de cours, comme plus de 2500 de nos collègues enseignantes et enseignants à l’UQAM. Au Québec, nous sommes plus de 11 000. Nous donnons autour de 60 % des cours de premier cycle (certificat et baccalauréat) à l’université. Nous sommes ce que le milieu de l’enseignement appelle des « précaires de l’enseignement supérieur ». Il existe également de ces précaires en enseignement collégial, particulièrement à la formation continue. Le terme « précaire » est juste, car nous ne savons jamais si nous allons pouvoir enseigner, trimestre après trimestre ; chaque fois, nous devons déposer notre candidature pour les cours qu’il reste à donner. Car ce sont les professeurs qui choisissent les cours en premier, suivis d’étudiants au doctorat ou à la maîtrise, selon le bon vouloir des professeurs qui les attribuent aux étudiants ; les chargés de cours prennent ensuite les cours restants.

Fréquemment, on nous demande de donner un cours à la dernière minute, à quelques jours ou à quelques heures d’avis. Les chargés de cours n’ont pas de sécurité d’emploi et peuvent être exclus de ce métier par des mesures discriminatoires souvent sans appel, par la direction d’un département ou par l’Assemblée départementale des professeurs, qui mène souvent les destinées d’un département comme un club privé. Sachez aussi qu’à l’UQAM, chaque bureau des chargés de cours est occupé par une vingtaine d’entre nous, partageant un équipement informatique désuet et deux ou trois postes de travail peu ergonomiques, alors que les professeurs ont des bureaux individuels avec de l’équipement de pointe. Et contrairement à nous, elles et ils ont droit à une fenêtre ! Dans ces conditions, la plupart des chargés de cours font leur travail de bureau et de préparation de cours à la maison.

La pandémie de la COVID-19 fragilise davantage nos conditions de travail et de vie. Comme chaque été, plusieurs collègues sont déjà inscrits à l’assurance-emploi, et risquent de se retrouver sans charge de cours à l’automne. Car, profitant de la crise sanitaire, la direction de l’UQAM ordonne à ses sept facultés de couper dans l’offre de cours. Pour les cours qui sont encore disponibles, la taille des groupes peut atteindre des proportions gigantesques ; par exemple, un cours qui se donne habituellement en classe à 40 personnes regroupe maintenant 90 personnes et doit se donner en ligne. Et vive la qualité de l’enseignement !

La direction de l’UQAM, par la voix de sa rectrice, Magda Fusaro, justifie les coupes successives par le déficit anticipé de l’UQAM, anticipation amplifiée avec la crise de la COVID. Un des problèmes que cette posture gestionnaire tente de masquer, c’est que la direction de l’UQAM est incapable de faire reconnaître le rôle déterminant de notre université au sein de la société québécoise. Un autre problème est l’inaptitude de notre ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur à concevoir l’importance des universités dans l’évolution et l’enrichissement globaux de notre société.

Aux trimestres d’hiver et de printemps qui viennent de se terminer, nos cours se sont donnés en confinement à partir de la mi-mars, et notre tâche a terriblement augmenté. Il a fallu créer du matériel pédagogique utilisable à distance et adapter nos outils d’évaluation ; par exemple, apprendre comment faire passer un examen qui n’aura pas lieu en classe. Il a fallu se retourner sur un dix cents pour apprendre le maniement d’outils technopédagogiques, tout en maintenant un lien de mentorat motivant avec les étudiants. Les chargés de cours ont répondu à l’appel, et s’apprêtent à le faire à nouveau pour le trimestre d’automne, car nous aimons enseigner. C’est pourquoi nous avons accompagné nos étudiants avec empathie dans une situation angoissante et peu propice au travail scolaire.

En réfléchissant à ces efforts exceptionnels, nous nous rendons compte que l’enseignement en temps de crise socio-sanitaire a mis en relief nos fragiles conditions de travail. Notre statut contractuel nous lie à notre tâche d’enseignant, et nous ne comptons pas les heures travaillées. Contrairement aux professeurs, nous utilisons notre propre matériel informatique. Il en va de même pour la plupart des accessoires indispensables à l’enseignement.

Plus que jamais, la direction de l’UQAM et celle des autres universités du Québec doivent nous aider à accomplir notre tâche pour un enseignement de qualité, en limitant la taille des groupes-cours afin de permettre un encadrement des étudiants à échelle humaine. La direction de l’UQAM et celle des autres universités du Québec, avec le soutien du gouvernement du Québec, doivent intervenir financièrement pour la mise à niveau de nos connexions Internet privées, et nous fournir un matériel informatique adéquat pour l’enseignement en non-présentiel. L’UQAM et les autres universités doivent également justement rémunérer la surcharge de travail des chargés de cours, qui se reproduira dans notre milieu bouleversé par la pandémie.

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