C’est l’heure de vérité pour le Canada

«Le Canada a fait du multilatéralisme une des pierres angulaires de sa politique étrangère», écrit Jocelyn Coulon.
Photo: Johannes Eisele Agence France-Presse «Le Canada a fait du multilatéralisme une des pierres angulaires de sa politique étrangère», écrit Jocelyn Coulon.

Dans quelques jours, le 17 juin, les membres de l’Assemblée générale des Nations unies choisiront parmi trois candidats — la Norvège, l’Irlande et le Canada — ceux qui occuperont les deux sièges de membres non permanents du Conseil de sécurité attribués au groupe régional de l’Europe de l’Ouest et autres pays pour la période 2021-2022. Rien n’est encore joué entre les trois candidats. Le Canada peut gagner, mais au moins deux facteurs jouent en sa défaveur : sa présence effective dans le monde et son appartenance au groupe régional ouest-européen.

Le Canada a fait du multilatéralisme une des pierres angulaires de sa politique étrangère. À cet égard, il s’est montré un participant actif et remarqué au sein des organisations internationales. Ce militantisme diplomatique s’est illustré par son élection au Conseil tous les dix ans (1948-1949, 1958-1959, 1967-1968, 1977-1978, 1989-1990 et 1999-2000) jusqu’à sa défaite en 2010. L’engagement multilatéral et la présence au Conseil visaient à augmenter son rôle sur la scène internationale et à renforcer le régime de règles et de normes sur lequel est fondé l’ordre international actuel.

La présence dans le monde

 

L’élection du Canada au Conseil a longtemps reposé sur son image de « bon citoyen » international. Les gouvernements, conservateurs ou libéraux, qui se sont succédé au pouvoir depuis la création de l’ONU en 1945 ont mené campagne sur un bilan plus qu’honorable, ce qui a permis au Canada d’être facilement élu jusqu’en 2010. Deux gouvernements en particulier ont marqué l’histoire diplomatique canadienne : ceux de Brian Mulroney et de Jean Chrétien.

Lorsque Mulroney présente la candidature du Canada pour la période 1989-1990, il est un des leaders de la campagne contre l’apartheid en Afrique du Sud, il a organisé avec François Mitterrand le premier sommet de la Francophonie, il a négocié l’adhésion du Canada à l’Organisation des États américains et a dit non au projet de guerre des étoiles du président Ronald Reagan. Il promet de poursuivre ce militantisme diplomatique, et le Canada est élu au Conseil avec plus de 80 % des voix des membres de l’Assemblée générale de l’ONU.

Quelques années plus tard, lorsque Jean Chrétien annonce la candidature du Canada pour la période 1999-2000, il présente un bilan tout aussi respectable. Son ministre des affaires étrangères, Lloyd Axworthy, articule un programme de réformes internationales fondé sur le concept de Sécurité humaine. Sous son leadership, le Canada déploie 3000 Casques bleus en Bosnie, en Croatie et à Haïti, pilote la signature du traité interdisant les mines antipersonnel et celui créant la Cour pénale internationale. Un accent particulier est mis sur l’aide à l’Afrique. La candidature canadienne au Conseil est plébiscitée et obtient 75 % des voix.

Depuis une quinzaine d’années, on ne peut pas dire que le Canada brille sur la scène internationale. Sous Stephen Harper, la candidature canadienne au Conseil pour la période 2011-2012 a subi une écrasante défaite aux mains du petit Portugal. Justin Trudeau a promis de laver l’honneur du pays, mais son bilan après cinq ans au pouvoir est mince. Il a instauré une politique d’aide féministe tout en réduisant le budget consacré au développement international, il a déployé quelques Casques bleus au Mali tout en les retirant rapidement, malgré la demande expresse de l’ONU de rester, il s’est complètement désintéressé de l’Afrique, dont les 54 États constituent pourtant le plus grand bloc politique à l’ONU, il s’est très récemment souvenu que les Palestiniens avaient le droit à l’autodétermination après avoir longtemps voté contre une résolution de l’ONU reconnaissant ce droit. En fait, contrairement à tous ses prédécesseurs depuis Pierre Elliott Trudeau, Justin Trudeau n’est le porte-ballon d’aucune initiative canadienne de portée internationale.

Le facteur géographique

 

Le deuxième facteur de risque est structurel. Le Canada est membre d’un étrange groupe régional, associé qu’il est, comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande et Israël, à l’Europe de l’Ouest et à ses 24 pays. L’autre partie du continent européen est placée dans le groupe Europe orientale, composé de 23 membres. Depuis la fin de la rivalité Est-Ouest, la distinction entre les deux groupes s’est effacée. Les États de cette grande Europe présentent toutes les caractéristiques d’une forte homogénéité culturelle, diplomatique et politique. Au sein de cet ensemble, le Canada n’a pas d’amis naturels, ce que ses deux compétiteurs, la Norvège et l’Irlande, ont, à l’évidence. Il est de notoriété publique que les 47 États du continent appuient généralement les candidats européens.

Jusqu’à la fin des années 1990, le Canada a constamment bénéficié de l’appui européen, principalement en raison de son importante contribution aux opérations de maintien de la paix et de son militantisme diplomatique. Lors de l’élection pour la période 2011-2012, sa défaite a pourtant été écrasante face au petit Portugal. Les causes en sont multiples, mais l’une d’elles relève de l’appétit croissant de certains pays européens à siéger régulièrement au Conseil.

Cette diplomatie combative a donné de beaux résultats pour les Européens. Ainsi, au cours des vingt années où le Canada a été absent du Conseil (2000-2020), l’Allemagne a été élue trois fois, l’Italie, deux fois, la Belgique deux fois, l’Espagne deux fois, alors que l’Australie et la Nouvelle-Zélande n’ont été élues qu’une fois. Bien entendu, d’autres pays européens n’ont siégé qu’une seule fois ou même n’ont pas été élus, mais, à l’évidence, une puissance moyenne comme le Canada, membre du G7, du G20 et de l’OTAN, peine à se faire une place au Conseil. Il faut maintenant se demander si la défaite du Canada il y a dix ans était un simple accident de parcours ou le symptôme d’un problème structurel plus profond lié à son appartenance au groupe régional actuel.

Le scrutin du 17 juin est secret, et les surprises sont toujours possibles. Il reste que l’élection du Canada est loin d’être acquise.

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