Comment conserver le Cirque du Soleil et Reitmans

La pandémie aura été plus qu’un phénomène sanitaire ; le virus a provoqué un choc profond dans l’économie, obligeant les entreprises à revoir leurs pratiques devant des consommateurs qui découvrent des outils technologiques nouveaux.
Les infrastructures ne seront pas suffisantes pour relancer l’économie du Québec ; le gouvernement a choisi de s’endetter pour devenir, selon le ministre Fitzgibbon, « plus interventionniste de la bonne façon ». Pour le ministre de l’Économie, « on ne doit pas gérer les entreprises, mais on doit s’en occuper ».
Le retrait de trois millions de travailleurs canadiens durant 15 semaines aura de fortes répercussions sur les résultats des compagnies. Comment Québec doit-il alors choisir d’aider les entreprises ? L’expérience de Bombardier va naturellement rendre l’aide de l’État conditionnel au versement de salaires et de dividendes raisonnables, au respect des nouvelles normes sociales, fiscales et environnementales et à la mise en place de politiques sur la diversité.
Mais M. Fitzgibbon va se heurter à deux obstacles majeurs : des actionnaires d’entreprises qui ne voudront pas faire le ménage de leur bilan et des cadres hésitant à remettre en question leur façon de fonctionner dans une économie post-pandémie.
Par exemple, le groupe financier qui a acheté le Cirque du Soleil en 2015 a fortement endetté l’entreprise avec des prêts de 850 millions $US ; TPG et Forsun doivent s’en prendre à eux-mêmes si les revenus comblent difficilement des frais d’intérêts annuels de 50 millions de dollars et le coût des productions qui ne décollent pas. Résultat : la dette dépasse 1,1 milliard, notamment en raison du paiement d’un dividende de 80 millions en 2018 et de généreux frais de gestion de 2 à 4 millions par année. La grave crise de liquidité qui frappe le Cirque ne se résorbera pas avant 2022, à tout le moins.
L’injection de fonds par l’État doit être précédée de radiations importantes pour refléter les mauvais résultats de 2015 à 2022 (incluant la post-pandémie). Mais TPG va tout faire pour se repositionner dans le Cirque avec une bonne valeur… Le prêt de 200 millions devrait éviter la mise à l’encan de la compagnie, mais Québec doit chercher de solides partenaires locaux de contrôle qui auront les poches profondes pour relever les chapiteaux durant deux ou trois saisons…
Depuis 10 ans, les ventes de Reitmans stagnent sous la barre du milliard ; les cinq bannières de la compagnie montréalaise fondée en 1926 ne suscitent pas beaucoup d’engouement chez les clientes (90 % des ventes) de cette chaîne de 580 magasins dont le conseil d’administration n’est composé que de membres masculins issus de toutes les communautés sauf francophone. Les profits fondaient et on payait 60 millions de dividendes. Le patrimoine de la famille Reitmans a fondu de près d’un milliard en 2010 à moins de 6 millions à la dernière clôture boursière.
Doit-on donner un chèque à des dirigeants qui n’ont pas encore vu la transition numérique dans le commerce de détail ? Les pressions seront fortes sur la classe politique pour venir en aide aux icônes du Québec inc. Le ministre Pierre Fitzgibbon et le patron d’Investissement Québec, Guy Leblanc, devraient faire connaître les règles du jeu dans l’octroi des milliards de dollars. Des entreprises comme Reitmans doivent présenter un nouveau modèle d’affaires avec une équipe de gestion renouvelée. Peut-on aider Sail ou La Cordée dans un univers où de grandes pointures (comme Canadian Tire et Decathlon) poussent très fort pour s’imposer dans le domaine des articles de sport ? Oui, si elles regroupent certains services comme l’entreposage, la livraison…
L’économie des prochaines années sera moins mondialisée et plus numérique. Les valeurs de la nouvelle gouvernance — environnement, social, gouvernance (intégrité, équité) — prendront plus de place aux yeux d’une partie des consommateurs, qui ont changé.
Québec doit utiliser ses programmes d’appui pour faciliter le passage du Québec inc. vers une nouvelle réalité économique, financière et technologique. Malins et rusés, certains entrepreneurs essaieront le « hold up » en clamant : « Donnez-moi ce que je demande sinon je vends à des étrangers. »
L’aide gouvernementale de MM. Fitzgibbon et Leblanc devrait privilégier les entreprises avec une direction agile et flexible capable d’innover. Les gouvernements de plusieurs petits pays européens n’hésitent pas à devenir actionnaires d’entreprises, car l’entrepreneuriat local n’est pas toujours prêt ou disponible.
La crise des prochains mois devrait permettre aux Québécois de poursuivre le mouvement de reprise en mains de leur économie amorcé en 1960 ; des progrès énormes ont été réalisés en six décennies. L’État doit aujourd’hui, comme dans les années de la Révolution tranquille, donner « un bon élan » pour faire décoller la nouvelle génération des firmes du Québec inc. de 2050.