L’empreinte écologique de l’IA

« C’est moins […] l’invention d’un futur qui sauve le présent qu’une préservation du futur par l’action responsable du présent. »
Olivier Mongin
Le développement des technologies liées à l’intelligence artificielle (IA), comme on le sait, s’appuie sur des supports numériques tels que les ordinateurs, les centres de données et, prochainement, le déploiement de la cinquième génération des standards pour la téléphonie mobile (5G). Il n’a rien d’immatériel. L’impact écologique de l’IA est ainsi indissociable de celui du numérique dans son ensemble.
Les ressources minières nécessaires aux technologies du numérique, par ailleurs, ne sont pas infinies. Par exemple, le cobalt est un métal rare indispensable dans la fabrication des batteries des téléphones intelligents et de celles des véhicules électriques (autonomes ou pas), entre autres. La République démocratique du Congo produit 60 % de l’approvisionnement mondial en cobalt ; plusieurs entreprises ont été poursuivies pour l’exploitation d’enfants dans ces mines. Une demande accrue de nombreux métaux rares exploités le plus souvent dans les pays du Sud est inévitable et souvent synonyme de violations de droits de la personne, de tensions géopolitiques et d’une concurrence féroce pour l’accaparement des ressources, souvent au détriment des populations locales.
L’extraction des matières premières et leur transformation en composants électroniques génèrent des répercussions écologiques non négligeables : épuisement de ressources abiotiques, pollutions causées entre autres par les produits chimiques utilisés dans le processus, émissions de gaz à effet de serre (GES), etc. À titre d’exemple, les résidus miniers sont souvent rejetés directement dans les nappes phréatiques ou dans la mer, ce qui a des effets néfastes sur la santé des écosystèmes et sur les populations locales. Leur présence contribue aussi à la détérioration de la qualité des sols.
Le caractère polluant de l’extraction minière en général, y compris celle qui est liée au numérique, n’est certes pas une nouveauté, mais notre persistance collective à préférer l’ignorer est préoccupante compte tenu du fait que l’écologie, la santé des populations vivant à proximité de ces mines, l’économie et même l’équilibre sociétal et géopolitique du monde s’en trouvent déjà gravement affectés. En outre, dans le contexte de la pandémie de la COVID-19, de nouveaux enjeux se posent tant en ce qui concerne l’utilisation accrue des technologies numériques par des populations en confinement et de nombreux travailleurs et travailleuses en télétravail qu’en ce qui a trait à la perturbation de l’ensemble des activités économiques, y compris les activités minières.
Par ailleurs, l’empreinte carbone du numérique est très mauvaise. Le chercheur indépendant Frédéric Bordage l’évalue à 3,8 % des émissions mondiales de GES pour 2018. Toutes les étapes du cycle de vie d’un équipement numérique — extraction des minerais, transformation en composants électroniques, distribution et commercialisation, utilisation et fin de vie — nécessitent, en règle générale, de l’énergie fossile. De plus, en dehors de la croissance continue du nombre d’utilisateurs, qui joue un rôle important, et concernant plus spécifiquement l’IA, l’augmentation actuelle du nombre d’objets connectés aggrave les conséquences environnementales. De plus, l’entraînement des algorithmes qui permettent de reconnaître la voix, de mieux gérer la circulation urbaine ou encore de rendre possible la voiture autonome est un processus extrêmement énergivore. Les data centers — qu’on appelle aussi « fermes de serveurs » —, qui hébergent et traitent des masses colossales de données nécessaires au fonctionnement de tous ces algorithmes, génèrent de 2 % à 5 % des émissions mondiales de GES, selon une autre étude réalisée cette fois par des chercheurs de l’Université du Massachusetts. L’électricité nécessaire à leur fonctionnement est souvent produite à partir de charbon ou de centrales nucléaires.
Dès lors, force est de constater que la contribution actuelle des nouvelles technologies au réchauffement global de notre planète est loin d’être négligeable. Rien ne nous dit que les algorithmes de demain, censés nous aider à réduire nos GES comme certains le prétendent, auront en réalité un effet positif.
[…] Comme le mentionne Frédéric Bordage au sujet du numérique dans son ensemble, « l’enjeu ne se limite donc pas à la réduction de ses dégâts environnementaux, mais aussi à son usage raisonné : c’est désormais une question de résilience pour l’humanité », précise-t-il. Laisser l’IA se déployer sans limites reviendrait ainsi à la desservir. Dès lors, la solution ne serait-elle pas de restreindre l’IA à des usages essentiels ? Il n’est pas impossible que, d’ici quelques années, par la force des choses, ce soit en ces termes que la question se pose.
Des commentaires ou des suggestions pour Des Idées en revues ? Écrivez à rdutrisac@ledevoir.com.
Des Idées en revues
