Le déséquilibre qui guette le commerce mondial

Alors que la pandémie bat son plein, les chefs d’État préparent la sortie de crise. Conscients qu’une crise économique sans précédent est en marche, chaque pays interviendra selon ses règles pour sauver les industries jugées prioritaires pour son économie.
On comprend bien que l’intervention des pouvoirs publics dans les secteurs clés de leur économie pourrait avoir des répercussions significatives sur les concurrents étrangers qui ne bénéficient pas du même appui public. D’ailleurs, tous les coups semblent déjà permis. Qu’on songe seulement à la stratégie agressive déployée par les États-Unis de détourner les livraisons internationales de masques à coups de milliers de dollars.
Pour reprendre les termes de l’ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), Pascal Lamy, après la crise de 2008, la situation actuelle soulève deux risques. Le premier : que les États continuent de céder au chant des sirènes du protectionnisme à mesure que la crise économique fera ses dommages, entraînant des effets délétères sur le commerce international. Le deuxième : que les mesures temporaires de sortie de crise se prolongent dans le temps et servent à protéger des entreprises déjà non compétitives ou insolvables, ce qui aurait pour conséquence d’empêcher des compétiteurs en meilleure santé, locaux ou étrangers, de gagner des parts de marché.
En 2008, déjà, de nombreux pays avaient mis en œuvre des plans de sauvegarde pour affronter la crise économique. La plupart avaient toutefois pris en considération l’effet de telles mesures sur le commerce international. Certains d’entre eux avaient même abandonné l’introduction de restrictions commerciales après qu’un examen public ou politique eut mis en lumière les inconvénients qu’elles pouvaient présenter pour l’économie nationale et mondiale. Ce fut le cas de la clause Buy American, que les États-Unis avaient insérée dans leur plan de relance en 2009 afin de favoriser l’achat de fer, d’acier et d’autres produits manufacturiers américains. Devant la contestation, Barack Obama avait fini par annuler les éléments de la clause qui étaient contraires au commerce international et, plus exactement, au principe de non-discrimination.
Le principe de non-discrimination agit ainsi comme un garde-fou contre des plans de relance qui ne seraient en réalité que des armes déguisées pour porter atteinte aux intérêts commerciaux d’un autre pays ou d’un secteur en particulier. Ou, encore, une excuse pour favoriser les opérateurs nationaux au détriment des étrangers, faisant alors fi des principes de la nation la plus favorisée et du traitement national.
Il faut aussi préserver la transparence — qui est à la fois horizontale et verticale, c’est-à-dire entre les États membres de l’OMC et entre ces États et l’organisation même —, laquelle assure la prévisibilité, l’équité et la cohérence des mesures commerciales prises par les pays membres en période de crise. Elle permet également à l’OMC d’élaborer des rapports sur les mesures de restriction prises et, ainsi, d’exercer son devoir de surveillance, telle qu’elle l’avait fait dans le contexte d’une autre urgence sanitaire, celle du virus H1N1.
Il faudrait que les États aient aujourd’hui la même conscience qu’il y a douze ans et se demandent si leur programme de relance économique, qui pourrait agir comme des restrictions aux échanges, répondra a minima aux règles posées par l’OMC — dont celles prévues dans ses différents accords — et aux règles spéciales prévues dans leurs accords bilatéraux ou multilatéraux. Dans le cas canadien, il s’agirait entre autres de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) et de ses mesures de défense commerciale, de traitement national ou encore des mesures relatives aux investissements.