Prendre soin, l’expertise infirmière

Au fait, c’est quoi être infirmière ? Être un ange gardien ? L’image de cette femme qui veille les malades, maternelle, dévouée ? Celle qui prend soin.
Prendre soin.
Sauf qu’on oublie que le soin, c’est une expertise. Ce n’est pas inné, une infirmière n’est pas d’emblée apte à réagir à des situations d’urgence, à évaluer la condition d’un patient, à s’ouvrir à la vulnérabilité des autres, à accueillir sans jugement, à accompagner vers la mort. Cela ne tient pas d’une seconde nature, d’une nature de femme qui se dévoue à la tâche dans des conditions parfois inacceptables. Prendre soin, la réelle expertise infirmière. Pas la vocation, l’expertise.
Le sens des mots est important, et la façon dont j’entends parler du travail des infirmières, lors d’un récent point de presse de François Legault, mais aussi dans les propos de Diane Francœur et dans le traitement médiatique depuis le début de la crise me heurte au plus haut point.
Ce qu’il faut comprendre c’est que l’expertise des médecins et des infirmières ne se place pas dans une hiérarchie du savoir où le médecin intègre le savoir infirmier puis devient médecin. Ce sont deux professions à part entière. Donc, quand j’entends notre premier ministre dire que les médecins spécialistes feront le travail des infirmières en CHSLD pour qu’elles soient libérées pour pouvoir faire le travail des préposées aux bénéficiaires, c’est pour moi d’une absurdité inouïe. Et d’entendre ensuite des journalistes rapporter la nouvelle en disant que les médecins poseraient des cathéters, feraient des prises de sang, éteindraient des alarmes, bref, feraient du travail d’infirmerie. Du travail d’infirmerie ? Vraiment ?
Dignité humaine
C’est, bien sûr, avec une grande indulgence que je critique aujourd’hui parce que nous sommes dans des temps bien particuliers, mais à force d’entendre des propos qui laissent croire dans les médias que je suis encore une garde-malade, l’envie de me défendre, de nous défendre est trop grande. L’expertise infirmière va bien au-delà de gestes techniques comme la pose d’un cathéter ou d’une sonde urinaire. Les infirmières sont garantes de la dignité humaine dans toutes les étapes de la vie à travers les soins qu’elles prodiguent et la relation qu’elles établissent avec les patients. Les infirmières surveillent la condition clinique des patients, accompagnent des familles à travers des moments difficiles, font de la gestion de lits et de personnel, développent des projets de promotion de la santé, participent au développement des politiques en santé et bien plus. Vaste expertise, vous dites ? Tout cela porté par la science. La science infirmière, une science bâtie par des femmes.
Oui, il y a ces histoires d’infirmières épuisées, mal protégées, de travailleuses qui sont obligées de continuer à fonctionner dans des conditions atroces, mais il y a aussi des histoires d’infirmières expertes dont la surveillance aiguisée et les connaissances cliniques approfondies leur permettent de sonner l’alarme et de sauver des vies.
La situation actuelle contraint des infirmières à changer de milieu de travail, parfois pour se rendre dans des contextes inconnus bien loin de leur champ d’expertise habituel. Cela leur demande du leadership et des capacités d’adaptation qui sont aussi inhérentes à la pratique de la profession infirmière. En ce moment, il y a des milieux où ça va bien, et il y en a d’autres où être un professionnel de la santé peut être un réel calvaire. Je remercie, moi aussi, tous ces gens qui travaillent d’arrache-pied pour qu’on passe à travers.
J’aimerais simplement qu’au lieu de nous présenter comme des anges gardiens, on parle plutôt des infirmières comme des professionnelles compétentes et expertes.
Sur ce, prenez soin de vous.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées en accueillant autant les analyses et commentaires de ses lecteurs que ceux de penseurs et experts d’ici et d’ailleurs. Envie d’y prendre part? Soumettez votre texte à l’adresse opinion@ledevoir.com. Juste envie d’en lire plus? Abonnez-vous à notre Courrier des idées.