De l’utilité d’une organisation internationale

«Illustré par la saillie de Donald Trump, le plus grand défi auquel font face les organisations internationales réside plutôt dans leur politisation par les gouvernements nationaux», souligne l'auteur.
Photo: Fabrice Coffrini Agence France-Presse «Illustré par la saillie de Donald Trump, le plus grand défi auquel font face les organisations internationales réside plutôt dans leur politisation par les gouvernements nationaux», souligne l'auteur.

En fustigeant l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Donald Trump veut faire croire que les organisations internationales sont au mieux inutiles, au pire nuisibles. À la manière d’Adrien Deume, un fainéant qui, dans Belle du Seigneur, d’Albert Cohen, passe son temps à s’inventer des activités aussi vaniteuses que superflues dans les couloirs de la Société des Nations, certains fonctionnaires se cachent peut-être derrière leur statut « international » pour échapper à leurs responsabilités. Il est cependant douteux que beaucoup d’experts de l’OMS fassent partie du lot.

Illustré par la saillie de Donald Trump, le plus grand défi auquel font face les organisations internationales réside plutôt dans leur politisation par les gouvernements nationaux. Dans une certaine mesure, cette politisation est inévitable. Après tout, les organisations internationales sont une création des États et elles demeurent, à travers leur structure de gouvernance, responsables devant eux.

En fait, il est à peu près impossible pour une organisation comme l’OMS de prendre des décisions ou de dégager des ressources qui ne soient pas approuvées par ses membres. Parmi ces derniers, les grandes puissances jouissent de golden shares qui leur permettent d’influencer l’organisation à tous les niveaux. C’est pourquoi il est ironique de voir le président américain retirer le financement d’une organisation, l’OMS, où son pays jouit d’un poids démesuré.

Camouflet à l’OMS… ou à la Chine ?

Mais dans la période actuelle, les États-Unis et la Chine se livrent à une âpre rivalité pour le contrôle politique des organisations internationales. La plupart de ces organisations ont été conçues après la Seconde Guerre mondiale par les États-Unis. Ceux-ci, avec quelques alliés comme la France et le Royaume-Uni, y faisaient la pluie et le beau temps. Cette situation ne déplaisait pas à une moyenne puissance comme le Canada, attaché à l’internationalisme libéral, c’est-à-dire surtout occidental.

L’affirmation de la Chine sur la scène internationale vient bousculer ce que G. John Ikenberry, professeur à Princeton, appelle le « Léviathan libéral ». De plus en plus obstiné au Conseil de sécurité des Nations unies, Pékin a développé une stratégie de conquête de la gouvernance mondiale. D’abord en créant ses propres organisations régionales en Asie, puis en poussant des candidats qui lui sont fidèles au sein du système onusien.

En mobilisant ses obligés, par exemple l’Éthiopie, la Chine a ainsi pu placer des candidats chinois ou des amis à la tête de plusieurs organisations, telles que l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) ou l’OMS. Sans surprise, ces dirigeants sont accusés de défendre les intérêts de la Chine, comme le président de la Banque mondiale a toujours été soupçonné de promouvoir les intérêts américains ou le président de la Commission européenne ceux de la France et de l’Allemagne.

Outre le réflexe, naturel chez lui, de blâmer l’étranger pour ses propres fautes, on peut ainsi expliquer la décision de Donald Trump en partie par le refus de partager la gouvernance mondiale avec des pays qui viennent y contester — voire cherchent à remplacer — la domination américaine. Cette défiance des États-Unis n’est pas nouvelle. On l’a vue à l’UNESCO et à l’Organisation mondiale du commerce.

Reste qu’à l’instar des États, gouvernés par un leadership politique plus ou moins responsable, mais aussi administrés par une fonction publique plus ou moins compétente, les organisations internationales ne se résument pas à la volonté de leurs maîtres politiques. Elles appuient leur action sur des experts, recrutés par voie de concours parmi les meilleurs de leur profession. Cette bureaucratie internationale méritocratique jouit d’une autonomie significative — et souhaitable — pour façonner ce que Martha Finnemore, de l’Université Georgetown, et Michael Barnett, de George Washington, appellent les « règles du monde ».

S’il est inévitable que, dans un monde d’États, les organisations internationales soient l’objet d’un grand jeu politique, les enjeux globaux comme la santé, l’environnement, le transport aérien ou la sécurité internationale sont trop importants pour être livrés aux seuls intérêts des puissants… ou à la petite politique d’un président à court d’arguments.

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