Moraliser les dividendes et la rémunération

«Le Canada et le Québec ne se sont pas prononcés sur deux sujets brûlants de la gouvernance d’entreprise: les dividendes et la rémunération des hauts dirigeants», souligne l'auteur.
Photo: iStock «Le Canada et le Québec ne se sont pas prononcés sur deux sujets brûlants de la gouvernance d’entreprise: les dividendes et la rémunération des hauts dirigeants», souligne l'auteur.

La pandémie de COVID-19 est un test pour la gouvernance d’entreprise et la responsabilité sociale (RSE). La réussite à ce test passe par l’intervention des États, qui doivent assumer un nouveau rôle : être un vecteur de changement de la gouvernance d’entreprise as usual.

Au Canada et au Québec, les réactions politiques montrent qu’ils ont décidé d’être présents dans la sphère économique… et heureusement. Pour limiter les effets de la crise sur les plans de l’économie et de l’emploi, les gouvernements fédéral et québécois n’ont pas hésité à injecter une masse d’argent considérable par divers canaux, toujours avec un seul et même objectif : soutenir les entreprises et assurer leur pérennité.

En comparant les positions de part et d’autre de l’Atlantique, on constate que le Canada et le Québec ne se sont pas prononcés sur deux sujets brûlants de la gouvernance d’entreprise : les dividendes et la rémunération des hauts dirigeants. Les fonds publics sont certes mobilisés, mais la responsabilité des entreprises l’est peu en comparaison, si ce n’est à travers de simples déclarations publiques énonçant ce qui est attendu d’elles. En ces deux domaines, faut-il réellement faire reposer les espoirs d’une responsabilisation des entreprises sur une base volontaire ? Le message que les liquidités ne devraient pas payer des dividendes ou rémunérer l’équipe de haute direction (mais aider les entreprises à affronter la COVID-19) est-il à l’heure actuelle suffisamment clair pour les entreprises ? Elles ont parfois une ouïe sélective… Le passé l’a démontré. Aux États-Unis par exemple, la crise économico-financière de 2007-2008 a montré que l’octroi d’aides d’État ne s’accompagnait pas nécessairement d’une moralisation des rémunérations de la direction.

Les silences canadien et québécois sont dommageables. Leurs droits démontrent déjà une ouverture à la moralisation des entreprises. Que cela soit par une définition nouvelle dans la loi des devoirs des administrateurs et des dirigeants, par des décisions judiciaires cherchant à responsabiliser les multinationales en matière de droits de la personne, par un accroissement des informations à divulguer au public par les entreprises, par la nomination d’un ombudsman pour la RSE et un renforcement de ses pouvoirs…

Même imparfait, même incomplet, même contradictoire, le droit s’appliquant aux grandes entreprises fait une place aux préoccupations sociétales. Le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) a d’ailleurs déjà pris position en faveur d’une restriction au versement par les banques de dividendes (tout comme les autorités bancaires européennes, britanniques et françaises d’ailleurs).

La force symbolique du message

 

Certes, les lois sur les sociétés par actions prévoient déjà une responsabilité des membres des CA qui accepteraient de verser des dividendes alors qu’il y aurait des motifs raisonnables de croire que leur entreprise ne pouvait ou ne pourrait de ce fait acquitter son passif à échéance. Mais il s’agit d’une action devant les tribunaux qui peut prendre des années et dont l’issue demeure incertaine.

De même, la presse relaie qu’un nombre croissant de dirigeants acceptent de réduire ou de renoncer à leur rémunération. Mais force est de constater que cette moralisation repose sur des initiatives individuelles. Une loi à l’échelon fédéral ou provincial (ou, a minima, une prise de position claire d’une organisation représentative des entreprises) enverrait un message fort. Le droit est doté d’une force symbolique qui n’est pas à négliger. Il codifie des valeurs morales que véhiculent les sociétés canadiennes et québécoises, valeurs particulièrement importantes aujourd’hui. Il fixe un commandement et impose un modèle de comportement aux entreprises.

Bien d’autres justifications

D’autres arguments appuient la pertinence d’une possible intervention du droit. Le droit renforce en effet la responsabilité éthique des entreprises, plus que jamais attendue dans le contexte difficile de la COVID-19. Il leur rappelle que leur responsabilité est multiple (et pas seulement économique) et évite le réflexe du « pile, je gagne ; face, tu perds » cher au Prix Nobel Joseph Stiglitz lorsque des fonds publics viennent à leur secours. Enfin — et ce n’est pas à négliger —, le droit apporte une aide précieuse aux CA en leur donnant une justification alors qu’ils ont la lourde tâche non seulement de faire face à la haute direction (pour le meilleur et pour le pire), mais aussi de s’assurer que la RSE est partie prenante de la stratégie de leurs entreprises.

Au bout du compte, dividendes et rémunération ne relèvent pas que d’une logique financière, mais aussi d’une logique morale. Les gouvernements du Canada et du Québec devraient sérieusement penser à adopter une loi ou à faire entendre leurs voix avec plus de verve. Ils devraient interdire la distribution de dividendes et réduire (voire supprimer) la rémunération de la haute direction, ou faire de ces deux éléments une condition de leurs aides financières, ne serait-ce que pour rappeler aux entreprises qu’elles souffrent (chute d’activité, salariés au chômage ou licencié, fermeture de locaux…), qu’elles vont avoir besoin d’argent pour se relancer et que leur destin public leur impose un devoir moral de réussir dans cette tâche.

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