Le virus, Trump et la prise de décision

Le président Donald Trump a toujours en tête des enjeux électoraux.
Mandel Ngan Agence France-Presse Le président Donald Trump a toujours en tête des enjeux électoraux.

La question n’était pas de savoir « si », mais « quand » une grave crise surviendrait. On pouvait légitimement se demander comment Trump serait en mesure de gérer une telle crise. Le coronavirus aura été l’occasion, hélas, de nous donner la réponse : il a échoué. Du moins durant le premier mois de la crise.

Le manque de préparation du gouvernement Trump pour affronter la crise du coronavirus a été spectaculaire et comparable — en pire — à celui du gouvernement G.W. Bush pour anticiper les attentats du 11 septembre 2001. « Les faux pas des institutions, allant de la Maison-Blanche jusqu’au Centre sur la prévention et le contrôle des épidémies (CDC), ont sapé la confiance dans la compétence et la capacité de gouvernance des États-Unis », écrivaient récemment dans la prestigieuse revue Foreign Affairs de hauts fonctionnaires d’expérience, qui ajoutaient : « La pandémie a amplifié la réaction instinctive de Trump de faire cavalier seul, et montré combien Washington n’était pas prêt pour diriger une réponse. »

Réactions improvisées et imprévisibles

 

Le style décisionnel du président se révèle en effet dans toute son ampleur durant le début de la crise. Ses réactions sont improvisées et imprévisibles, ad hoc comme d’habitude, quoiqu’il prétende toujours maîtriser la situation. Il commet des erreurs sérieuses, notamment lors de son adresse à la nation du 11 mars, jugée comme l’une des pires d’un président à l’ère contemporaine.

C’est Jared Kushner qui aurait écrit son discours et consulté en privé des experts pour décider de l’action américaine. Trump annonce notamment l’interdiction des vols en provenance de l’Europe sans avoir prévenu les pays concernés, ce qui comprend l’interdiction des cargos commerciaux, une annonce rapidement démentie par la Maison-Blanche.

La pandémie a amplifié la réaction instinctive de Trump de faire cavalier seul

Trump niera à l’origine le danger sérieux du coronavirus pour finalement admettre que les États-Unis « étaient en guerre ». Plusieurs évoquent un catalogue d’erreurs pour décrire les réactions du président. Qu’à cela ne tienne, Trump clamera lors de sa conférence de presse du 17 mars qu’il « sentait bien que ce serait une pandémie bien avant qu’on la désigne comme telle ». Son incohérence en disant une chose et son contraire a affolé plus d’un observateur, et une bonne partie de la population américaine, tout comme sa propension naturelle à la désinformation (par exemple sur les effets miraculeux d’un médicament à peine testé pour contrer le coronavirus).

Le président a toujours en tête ses calculs électoraux et ne s’empêche pas d’exprimer encore par tweets ses opinions malveillantes (par exemple sur le travail de certains gouverneurs d’État). L’ancien conseiller politique d’Obama, David Axelrod, dira : « Nous avons un énorme défi devant nous et un tout petit président. » Quelle malchance pour les Américains !

L’une des graves erreurs de ce gouvernement fut de démanteler en mai 2018 le Bureau de la Maison-Blanche — à l’intérieur de la structure du National Security Council — responsable de coordonner et de planifier les décisions américaines advenant l’irruption d’une épidémie ou d’une pandémie (en plus de sabrer les postes importants de hauts fonctionnaires du gouvernement dans le secteur de la santé, privant celui-ci d’une mémoire institutionnelle vitale).

Entre l’apparition publique du virus en Chine, début décembre, et le 29 février, date du premier décès en sol américain provoqué par la propagation de la pandémie, Trump ignore les signaux d’alarme et les mises en garde attestant que la situation pouvait se détériorer rapidement. Sa première décision concrète ne sera prise que le 31 janvier, quand le gouvernement américain interdira d’entrée sur le territoire les non-Américains s’étant récemment rendus en Chine.

Pourtant, début janvier, le personnel du NSC réclamait déjà une action beaucoup plus soutenue. Le conseiller adjoint pour la sécurité nationale, Matthew Pottinger, était l’un de ceux qui voyaient venir l’ampleur de la crise et qui faisaient pression pour que la menace soit prise au sérieux. Peter Navarro aussi, le conseiller commercial, qui transmettra le 29 janvier à la Maison-Blanche un rapport sur l’imminence et le danger d’une pandémie désastreuse pour l’économie et la société américaines.

Mais d’autres conseillers de Trump, comme Mulvaney et Mnuchin, écartèrent l’idée d’une telle urgence et ainsi, cela prit du temps avant que le gouvernement des États-Unis ne réalise la sévérité et l’urgence de la pandémie. Lors de la transition entre Obama et Trump, la responsable du Bureau de la Maison-Blanche sur la prévention des pandémies, Elizabeth Cameron, avait mené le 13 janvier 2017 (en présence d’officiels des deux gouvernements, sortant et entrant) une simulation sur la propagation alarmante d’une pandémie mondiale afin de tester la réactivité du système économique et de santé des États-Unis. Les résultats de cette simulation furent ignorés, tout comme les avertissements de la communauté du renseignement. De toute façon et en pleine crise, le président déclarera le 28 février 2020 que « le virus disparaîtra un jour, comme par magie ».

Le spécialiste du renseignement Micah Zenko parle du « pire échec du renseignement dans l’histoire américaine », d’indifférence et de négligence par Trump et de ses conseillers à la suite de multiples avertissements leur étant acheminés par la communauté du renseignement sur les priorités des menaces depuis le début de janvier 2019. Citant la Commission du 11 Septembre, Zenko affirme que « le système était en état d’alerte rouge ». Or, rien ne fut entrepris pour tenter de juguler le tsunami d’infections qui était anticipé.

Ce qui nous ramène aux carences du style de Trump et de son leadership, car Zenko conclut : « Le détachement et la nonchalance dont a fait preuve la Maison-Blanche, durant les premiers stades de la propagation du coronavirus, figureront parmi les décisions les plus coûteuses d’une présidence moderne. » Trump n’a que faire de l’avis des experts et des scientifiques, dont il ignore sciemment et souvent les recommandations.

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