La démocratie libérale n’est pas en danger

Alors que nos gouvernements s’acharnent à lutter contre la COVID-19, certains se sont déjà engagés dans la voie de la critique en remettant en question l’efficacité des régimes démocratiques à lutter contre la COVID-19. Pour d’autres, les mesures, jugées laxistes et faibles, des démocraties occidentales à l’égard de cette crise sanitaire témoignent d’un « naufrage civilisationnel » ; pour les démocraties européennes surtout, ce serait l’ultime confirmation de « leur faillite morale » qui, dans le contexte actuel, aura été renforcée par « des opinions scientifiques mal inspirées ».
Pour ma part, j’estime que les difficultés auxquelles font face nos gouvernements face à cette crise sanitaire ne sont pas un reflet de la faiblesse congénitale des démocraties libérales. Car les pesanteurs administratives et les contraintes du système de la santé ne suffisent pas pour juger de la valeur d’une démocratie libérale. Surtout, le manque de préparation de nos gouvernements face à ce grand imprévu du XXIe siècle qu’est la pandémie de la COVID-19 n’est en aucun cas le témoignage d’une décadence de la civilisation occidentale.
Peut-être que les démocraties occidentales s’y sont prises trop tard ; qu’au niveau 1 du risque, il aurait fallu imposer des mesures draconiennes et donc un confinement obligatoire de toute la population. Mais cette réaction timide et tardive ne peut servir de justification suffisante pour illustrer la supériorité, en temps de crise, des régimes autoritaires comme la Chine, comme le croient certains.
Faut-il rappeler que les mesures de confinement radical imposées par Pékin ont été la conséquence des critiques nationales et internationales à l’endroit de l’opacité dont a fait preuve le gouvernement chinois au début l’éclosion du virus à Wuhan ? De même, que la gestion autoritaire de la crise par la Chine ait été concluante ne signifie absolument pas que les populations et les médecins chinois aient consenti minimalement à la manière et aux stratégies mises en place pour endiguer la COVID-19.
Surtout qu’en Chine, la délibération collective est un péché dans un contexte où règne impitoyablement une contrainte à l’obéissance. Contrairement au régime démocratique libéral, où prévaut, justement, cet important équilibre entre l’autorité de l’État et les droits individuels.
Cet équilibre ne consacre aucunement la royauté de l’individu, au contraire, il vise à limiter l’impérium de l’État. Et surtout, il importe de le rappeler, la recherche d’un tel équilibre n’empêche pas, lorsque l’intérêt général est en cause, de limiter les droits individuels.
Sauf qu’en démocratie, et c’est là son incontestable privilège, c’est au moyen de la délibération que l’on procède et non par l’imposition d’une contrainte à l’obéissance. Il faut argumenter avec les citoyens avant de décider, parce que l’autorité politique est légitimée par la souveraineté du peuple : c’est exactement ce que font les démocraties libérales en ces temps d’inquiétudes sanitaires, et de manière exceptionnelle notre premier ministre François Legault.
La démocratie libérale est un régime de la moyenne, qui fuit l’excès et évite le manque. En ce sens, il implique une exigeante quête du juste milieu. C’est cette recherche de la moyenne que tentent nos gouvernements dans la guerre contre la COVID-19. Ils réussissent tant bien que mal. Mais la qualité d’un régime politique ne se mesure pas sur les effets à court terme. Il faut aussi prendre en compte la norme qui fait l’essence d’un régime.
Et, du moins depuis 1945, la norme des régimes libéraux, la liberté individuelle, montre la qualité et donc la supériorité, même en temps de crise, des sociétés démocratiques libérales. N’est-ce pas la preuve que relativement à la question de l’organisation politique et morale de la société, la civilisation occidentale demeure jusqu’à preuve de contraire la meilleure ? Ce qui menace justement la civilisation occidentale et la démocratie libérale, de nos jours, ce sont les discours décadentistes et l’empressement à en appeler à l’intérêt général sans égard aux principes de l’État de droit.