Qui a peur du partage des données?

«La création de la nouvelle Biobanque québécoise de COVID facilitera des partenariats de recherche à l’échelle nationale et internationale, et contribuera de façon significative à l’avancement des connaissances», disent les auteurs.
Photo: The Associated Press «La création de la nouvelle Biobanque québécoise de COVID facilitera des partenariats de recherche à l’échelle nationale et internationale, et contribuera de façon significative à l’avancement des connaissances», disent les auteurs.

Les urgences de santé publique créent un nouveau contexte dans lequel les sociétés doivent trouver un équilibre entre des priorités concurrentes. En effet, en tant que société libérale ayant à cœur les droits individuels, nous sommes confrontés à des questions concernant la manière de promouvoir nos intérêts collectifs et partagés dans la lutte contre la pandémie mondiale. Les urgences de santé publique confèrent à l’État des pouvoirs exceptionnels prévus dans des lois adoptées il y a longtemps par des sociétés libres et démocratiques.

Au Canada, les lois provinciales et fédérales qui permettent l’adoption de mesures d’urgence sanitaire et d’ordonner la quarantaine autorisent l’exercice de tels pouvoirs exceptionnels pour traiter les préoccupations les plus immédiates en matière de santé publique et pour assurer l’ordre public.

Mais pour donner effet aux garanties accordées par ces droits, il faut non seulement soutenir la recherche, mais aussi assurer l’accès aux données de recherche en santé publique déjà existantes, aux données génétiques et aux données environnementales et sociodémographiques, sans parler des données cliniques émergentes de la COVID-19. Ces données devraient-elles donc être partagées ?

Lors d’une pandémie et d’une crise sanitaire mondiale comme celle que nous vivons, la réponse à cette question devrait être affirmative puisqu’un tel partage des données individuelles servira le bien public. Les virus et autres agents pathogènes ne connaissent pas de frontières, et les données sanitaires ne devraient pas non plus en connaître. En 2017, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dans la Recommandation du Conseil sur la gouvernance des données de santé, avait déjà souligné la nécessité d’une plus grande collaboration internationale et d’un meilleur partage des données de santé. Puis, en mars 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a reconnu que son Règlement sanitaire international devrait être mis à jour pour mieux faciliter le partage et la gouvernance des données entre ses États membres lorsqu’ils sont confrontés à une urgence de santé publique.

Collaboration internationale

 

La présidente du Conseil européen de la protection des données, Andrea Jelinek, a déclaré que « [l]es règles de protection des données n’entravent pas les mesures prises dans la lutte contre la pandémie de coronavirus ». Pour ce faire, le Règlement général sur la protection des données de l’Union européenne prévoit la possibilité de collecter et de partager des données à des fins de santé publique et d’intérêt vital des personnes. Toutefois, le partage des données peut ne pas se faire aussi librement que nécessaire lorsqu’une collaboration internationale est prévue. L’accent mis par la législation européenne sur la protection des données personnelles, quel que soit le lieu où elles se trouvent dans le monde, signifie que les protections doivent être assurées, sauf dans des circonstances très spécifiques. Ainsi, les intérêts vitaux d’un patient individuel ne sont pas considérés comme étant privilégiés lorsque les données le concernant sont transférées à l’échelle internationale pour une recherche biomédicale générale dont on ne s’attend pas à ce qu’elle profite immédiatement au patient individuel.

Qu’en est-il au Canada ? Ici, la mosaïque de lois provinciales et fédérales sur la protection des données a peut-être involontairement créé des obstacles à l’accès direct aux données. Ainsi en est-il, pour prendre un exemple, de l’accès qui devrait être conféré aux chercheurs en maladies infectieuses et respiratoires qui désirent coder de manière sûre les données de santé individuelles, y compris celles détenues par les organismes de santé publique eux-mêmes !

Plus que jamais, nous devons rechercher un équilibre entre intérêts qu’exigent les règles relatives à la protection de la vie privée et à celle des données. Dans cette optique, le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada a réitéré le 20 mars 2020 son engagement en faveur d’une « approche souple et contextuelle » destinée à protéger également la vie privée des Canadiens et des Canadiennes. Nous constatons que les lois fédérales et provinciales sur la protection de la vie privée visent à favoriser un tel équilibre sur la base de dispositions telles que celles qui exigent que l’intérêt public dans la conduite de la recherche l’emporte sur l’intérêt public dans la protection de la vie privée.

Dans les circonstances actuelles, il est difficile de ne pas conclure qu’un tel équilibre serait assuré par la divulgation d’informations sur la santé des individus pour les fins d’une recherche qui contribuera à comprendre la pandémie de la COVID-19. La création de la nouvelle Biobanque québécoise de COVID facilitera des partenariats de recherche à l’échelle nationale et internationale, et contribuera de façon significative à l’avancement des connaissances.

Mais nous ne pouvons pas nous arrêter là. L’heure est au partage non seulement des données, mais également des idées qui nous aideront à surmonter la présente crise et jetteront également les bases d’une société plus solidaire une fois la pandémie terminée.

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