Réfléchir à notre responsabilité collective à l’ère de la COVID-19

Le centre de depistage pour la Covid-19 a la Place des festivals.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Le centre de depistage pour la Covid-19 a la Place des festivals.

Plusieurs pourraient être tentés de pointer du doigt le monde animal comme responsable de la crise que nous vivons en ce moment. En effet, le virus qui cause la COVID-19 est d’origine animale. Son génome s’apparente à celui d’autres coronavirus trouvés chez certaines espèces de chauves-souris.

Il serait cependant pertinent de saisir cette occasion pour réfléchir aux impacts du facteur humain dans toute cette histoire, et pour revisiter notre responsabilité collective envers la santé des animaux et des écosystèmes — pour la prochaine fois.

Depuis toujours, il y a des échanges d’agents infectieux (virus, bactéries, parasites, etc.) entre espèces, et donc entre animaux et humains. On appelle ces maladies qui se transmettent entre ces deux groupes les zoonoses. Au Québec, par exemple, le virus de la rage en est un bon exemple, celui-ci circulant actuellement dans les populations de chauve-souris et chez les populations de renards du Nunavik.

En fait, on estime que 60 % des maladies infectieuses qui affectent les êtres humains aujourd’hui sont d’origine animale. Cette proportion s’élève à 75 % si on considère uniquement les maladies infectieuses dites émergentes (les « nouvelles maladies »).

La fréquence de ces passages d’agents infectieux du monde animal vers les êtres humains semble augmenter. Pourquoi ? En examinant les facteurs qui facilitent le premier « saut » d’un agent infectieux entre différentes espèces, on constate que les humains ne sont pas seulement les victimes de ce problème.

En effet, si certaines caractéristiques biologiques d’un agent infectieux rendent ce passage possible, comme sa capacité à s’adapter à un nouvel hôte en se transformant (son taux de mutation notamment), d’autres facteurs créent les conditions favorables à ces événements. Ces facteurs sont l’abondance des hôtes — les animaux —, qui jouent le rôle de réservoir pour l’agent infectieux, la proportion d’hôtes infectés par l’agent et la fréquence de contact entre ces hôtes réservoirs et les humains. Et ce sont ces facteurs qui ont changé dans les dernières décennies. À cause des activités humaines.

La destruction des habitats naturels

 

Les humains détruisent les habitats naturels à une vitesse inquiétante. Une étude publiée dans la revue Nature a estimé que le nombre d’arbres à l’échelle mondiale a diminué de 46 % depuis les premières civilisations. Or, ces habitats sont les milieux de vie de milliers d’espèces animales. Conséquences, ces populations animales se déplacent (menant à une fréquence de contacts augmentée avec d’autres espèces, dont l’humain) et vivent des stress importants, ce qui contribue à baisser leur immunité et donc à augmenter la proportion d’individus infectés et malades chez ces derniers. Nous tombons malades lorsque nous vivons un stress ? Eh bien, c’est pareil dans le monde animal.

Les changements climatiques

 

Les changements du climat dérèglent le fonctionnement des écosystèmes et perturbent la distribution des espèces animales sur un territoire. Par exemple, certains habitats deviennent plus ou moins propices à la survie des espèces animales qui l’habitaient. Ces dernières vont se déplacer vers de nouveaux territoires, avec leurs agents infectieux. Nous vivons en ce moment au Canada un très bon exemple de l’émergence d’une zoonose dans ce contexte : la maladie de Lyme, causée par une bactérie dont l’hôte réservoir, la souris à pattes blanches, est de plus en plus abondante, et dont l’activité du vecteur, la tique à pattes noires, est favorisée par les perturbations climatiques, dont nos hivers de moins en moins longs. Augmentation de l’abondance de l’hôte, de la proportion de rongeurs infectés et augmentation de la fréquence de contact avec les êtres humains. Résultat ? Le nombre de personnes infectées par la maladie de Lyme au Canada augmente de façon exponentielle.

Le commerce et les mouvements des animaux

 

On a vu ces derniers jours l’importance que peuvent avoir les mouvements humains dans la propagation des agents pathogènes (la fréquence de contact !). Et bien évidemment, cela est aussi vrai pour les animaux, dont les déplacements sont favorisés par les perturbations de leur milieu naturel, mais aussi parce que nous les commercialisons pour notre alimentation ou pour d’autres raisons. Une étude publiée dans la revue Science a estimé que plus de 31 500 espèces d’animaux sauvages étaient commercialisées à travers le monde ! Rappelons que le coronavirus responsable de l’épidémie de SRAS en 2003 a émergé dans un marché de la région de Guangdong, en Chine, où étaient entassés des animaux sauvages vivants (et sous stress !) de multiples espèces et destinés à être vendus. Parmi ceux-ci, la civette, un animal apparenté au furet et qui a été déterminé comme la source d’infection du premier cas humain. Il est probable que le virus de la COVID-19 ait émergé de façon similaire.

La pauvreté et l’insécurité alimentaire

N’oublions pas que pour des milliers de personnes, les animaux sont une ressource alimentaire importante. Aussi, le recours à la chasse ou à la consommation de viande sauvage est parfois nécessaire pour la subsistance. La viande sauvage peut être une ressource alimentaire de qualité dans bien des contextes. Or, dans un contexte de vulnérabilité, ce n’est pas toujours le cas. On sait, par exemple, que certaines éclosions d’infections au virus Ebola ont été déclenchées parce que des personnes se sont exposées à des carcasses de singes infectés dans le but de les consommer. Bien qu’il s’agisse d’une pratique illégale, notamment en raison des risques qu’elle pose pour la santé humaine, à qui la faute dans ce contexte ? Est-il nécessaire de rappeler que plus de 820 millions de personnes dans le monde sont en situation d’insécurité alimentaire ? Les plus vulnérables sont les plus touchés par ces risques, mais la pandémie actuelle de laCOVID-19 nous rappelle que toutes et tous sont — et seront encore à l’avenir — concernés.

Tirer des leçons utiles de la pandémie ?

Conséquences de l’industrialisation et de la mondialisation, les bouleversements induits par les êtres humains et qui affectent notre planète contribuent à l’émergence des zoonoses. Ces bouleversements sont multiples, interconnectés et s’intensifient.

La reconnaissance de cette interdépendance entre santés humaine, animale et des écosystèmes est l’objet principal du concept d’Une seule santé. Sans équilibre entre ces trois sphères, la santé des populations humaines ne peut être maintenue.

Il semble impératif de profiter du ralentissement obligé que cette pandémie nous impose pour réfléchir à notre responsabilité collective face à la santé des populations animales et de toutes les populations humaines, y compris les plus vulnérables. Il faudra reconnaître que la protection des écosystèmes n’est pas une option pour notre propre santé. Et nous devrons prendre des moyens pour y arriver collectivement, durablement.

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