La Prestation canadienne d’urgence, une mesure insuffisante

«Pour les travailleurs, cette aide se traduit par une prestation imposable de 2000$ par mois pendant une période maximale de quatre mois», souligne l'auteur.
Photo: Paul Chiasson La Presse canadienne «Pour les travailleurs, cette aide se traduit par une prestation imposable de 2000$ par mois pendant une période maximale de quatre mois», souligne l'auteur.

Tout indique que le Québec n’est pas au bout de ses peines. Par-delà l’allongement de la période de confinement et la fermeture jusqu’au 13 avril de tous les commerces, sauf les services essentiels, la pandémie de la maladie à coronavirus (COVID-19) apporte avecelle une crise économique sans précédent. Or, les ménages québécois sont mal préparés pour affronter la tempête à venir.

La vulnérabilité des ménages québécois n’est pas nouvelle. Année après année depuis plus de 40 ans, la rémunération hebdomadaire moyenne réelle des salariés du Québec a été inférieure au sommet atteint en 1977. De même, le revenu médian réel des ménages québécois, qui était de 50 500 $ en 1978, a diminué durant la même période, pour se situer à 49 500 $ en 2016. Cette baisse importante du pouvoir d’achat s’est traduite par un ratio d’endettement record d’environ 160 % du revenu disponible.

L’insécurité financière des ménages se voit également dans l’augmentation des inégalités socioéconomiques, la diminution des régimes de pension agréés, la hausse du taux d’activité chez les aînés et l’augmentation du nombre de dossiers d’insolvabilité. Avant même que la crise n’éclate, près d’un million de Québécois et Québécoises étaient déjà en situation de faible revenu et tout indique que la situation financière des ménages va se détériorer de façon importante au cours des prochains mois.

Tout comme les travailleurs et travailleuses, un nombre important de petites entreprises risquent de ne pouvoir supporter encore longtemps cette période de disette. Dans une province où près de 98 % des entreprises ont moins de 100 employés, le risque que la crise économique se transforme en hécatombe est bien réel.

Une mesure nécessaire, mais insuffisante

 

Nos gouvernements sont au fait de la situation et cherchent désespérément à maintenir des liquidités dans l’économie. En témoigne l’instauration par le gouvernement fédéral de la Prestation canadienne d’urgence (PCU), un plan de sauvetage d’une valeur de 107 milliards. Pour les travailleurs, cette aide se traduit par une prestation imposable de 2000 $ par mois pendant une période maximale de quatre mois, soit l’équivalent de 12,50 $ l’heure pour une semaine normale de 40 heures de travail. Cela représente le salaire minimum actuel au Québec, qui passera à 13,10 $ l’heure le 1er mai.

Bien que nécessaire, la PCU demeure insuffisante pour couvrir les besoins réels des ménages québécois et canadiens, d’autant plus qu’elle va encourager un licenciement massif des travailleurs par les entreprises. Pour des centaines de milliers, voire des millions de travailleurs au pays, cette baisse salariale aura un impact significatif sur leur capacité à respecter leurs obligations financières. En dépit de son bien-fondé, la PCU aura pour conséquence d’allonger l’horizon d’endettement des ménages.

Étant donné les difficultés économiques à venir, il aurait été beaucoup plus responsable que la PCU permette aux ménages de suspendre (sans pénalité ni intérêt) pendant quatre mois le paiement des loyers individuels, des prêts hypothécaires, des paiements automobiles, des cartes et marges de crédit, et des impôts. En somme, avec cette mesure purement palliative, le gouvernement Trudeau nous dit que les banques et autres agences de crédit n’ont rien à craindre et qu’aucune mesure contraignante ne leur sera imposée. De toute évidence, nous ne sommes pas tous dans le même bateau.

L’impossible retour à la normale

Beaucoup s’interrogent aujourd’hui sur le manque de résilience de notre système économique. D’autres se posent des questions sur l’apparente incapacité de ce géant aux pieds d’argile à reconnaître et à valoriser celles et ceux qui répondent aux besoins réels de la société. Dans le contexte actuel, qui doute encore de l’importance des travailleuses et travailleurs de la santé et des services sociaux, de l’alimentation, de l’éducation, des transports et des services de garde ? Est-il encore acceptable que ces emplois soient en majorité dévalorisés et sous-payés ?

Dans L’éventail de lady Windermere, publié en 1896, Oscar Wilde définissait le cynique comme quelqu’un « qui sait le prix de tout mais la valeur de rien ». Il est à espérer que le cynisme ambiant se transformera en une prise de conscience collective sur ce qui a réellement de la valeur pour notre bien-être.

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