Barrières et potentiel de l’épicerie en ligne chez les aînés

La pandémie de COVID-19 met en avant des pratiques d’approvisionnement déjà existantes pour aider à gérer cette crise et favoriser l’isolement préventif ou la quarantaine. L’épicerie en ligne, la livraison à domicile ainsi que la livraison de plats préparés proposés par de nombreux restaurants peuvent servir de moyens de distanciation sociale.
L’option de sortir s’approvisionner n’est pas possible pour tous. Nous avons mené tout récemment une enquête en ligne sur l’accès aux épiceries et les habitudes d’achat d’aliments chez les populations aînées. Les répondants ont été sollicités par les lettres d’information envoyées par courriel par la FADOQ de Montréal, de Laval et de Québec. Les personnes les plus âgées y sont sous-représentées, les répondants ont en moyenne 70 ans et 96 % d’entre eux ne vivent pas en résidence de retraite. Il est important de mentionner que cette enquête n’est pas une enquête probabiliste entièrement représentative de la population à l’étude. Mais quelques questions posées s’avèrent particulièrement intéressantes dans le contexte actuel.
Étant donné que l’enquête a été effectuée en ligne auprès de personnes familiarisées avec l’usage de cette technologie, les estimations présentées ici sont probablement encore plus faibles au niveau de l’ensemble de la population âgée, ce qui est préoccupant dans le contexte actuel. Seulement 1,8 % des 1066 répondants déclarent faire généralement leur épicerie en ligne ou par téléphone (avec livraison). De quoi conclure qu’il est impératif de développer dans les prochaines semaines les capacités des populations âgées de se prévaloir de ce service qui pourrait rapidement devenir essentiel à plusieurs.
À la question « Saviez-vous que les frais de livraison d’épicerie sont déductibles d’impôt au Québec pour les personnes de 70 ans et plus selon le Crédit d’impôt pour maintien à domicile des aînés ? », à peine 5,6 % répondent par l’affirmative et 0,9 % des répondants admissibles déclarent avoir déjà réclamé ce crédit d’impôt. Par cette politique, le gouvernement reconnaît, d’une part, les coûts additionnels liés à l’achat en ligne et, d’autre part, vise une population plus susceptible d’avoir des difficultés d’approvisionnement pour des raisons diverses. La cessation de conduire et la capacité limitée de se déplacer à pied en sont des exemples en temps normal.
Ces difficultés seront exacerbées pour une bonne partie de la population dans les prochaines semaines. Cela indique qu’un programme aux bonnes intentions est mal connu et peu utilisé. L’horizon à long terme d’un crédit d’impôt n’agira probablement pas comme une mesure incitative forte à une transition rapide.
Les coûts ne sont pas la seule barrière, mais la littératie numérique des aînés n’en fait pas toujours partie. Comme le CEFRIO l’indiquait récemment dans un de ses rapports, 81 % des aînés de 65 ans et plus disposent d’une connexion Internet à la maison, 62 % l’utilisent au moins une fois par jour et 22 % déclarent faire des achats en ligne, généralement pour des biens non comestibles (l’abonnement à Netflix est compris). C’est sur le plan des achats, et plus particulièrement de l’épicerie en ligne, que les taux sont donc bas.
Malgré la fermeture aux visites des résidences pour personnes âgées pour protéger les résidents, les livraisons demeurent permises. Des employés mettent parfois même en place des ateliers permettant l’apprentissage des pratiques d’achat d’épicerie en ligne de manière à faciliter cette transition. Voilà une démarche à émuler à grande échelle. Étant donné le fort taux de répondants hors résidence de notre enquête et le faible taux d’usage de l’épicerie en ligne enregistré, il y a lieu de se questionner sur les moyens nécessaires pour former cette population plus dispersée.
L’offre au rendez-vous ?
Reste la gestion de l’offre et de la demande. Déjà, certaines plateformes de livraison de nourriture proposent d’effectuer les livraisons en déposant les paquets devant la maison à la suite d’une notification, de manière à éviter les contacts avec les clients, et en réduisant ou en annulant certains coûts de transaction. Nos restaurateurs, dans un souci de maintien de l’emploi de leurs employés et pour fournir des solutions de remplacement aux individus, emboîtent aussi le pas en offrant des plats préparés et livrables. Certaines épiceries offrant des services en ligne se préparent à répondre à la forte croissance de la demande. Parfois à l’aide de bénévoles, comme c’est le cas pour la Ville de Farnham, parfois par l’embauche de personnel, comme des étudiants en arrêt forcé.
La pression accrue dans les prochaines semaines mettra possiblement à l’épreuve ces services. Il se peut qu’une personne en bonne santé capable de se rendre dans les commerces encore ouverts doive envisager, par solidarité, d’éviter d’utiliser ces services pour que les personnes qui en ont le plus besoin y aient plus facilement accès, le temps que se réorganisent les fournisseurs.
À l’instar des aînés, les personnes immunodéprimées, à faible mobilité ou en quarantaine pourraient aussi bénéficier de certaines mesures favorisant la livraison d’épiceries. La réduction des frais de livraison pourrait permettre à des personnes à faible revenu et autrement vulnérables de plus facilement s’en prévaloir. Des questions de capacité d’usage, de coûts et de gestion de la demande soulèvent toutes des barrières potentielles, mais surmontables, à l’usage de ces options.