Pénurie d’enseignants: une occasion de repenser les modèles de formation?

La situation problématique rencontrée dans plusieurs milieux scolaires à propos du manque de personnel enseignant conduit diverses personnes à demander au ministre de revoir les modèles en vigueur pour former les enseignants. Sous la pression de la pénurie, la tentation est forte de réclamer la mise en oeuvre d’un programme de formation accéléré ou la révision radicale des conditions d’accès aux programmes existants.
À travers ces propositions de refonte des programmes de formation souhaitée par certains, c’est bien le modèle de formation universitaire professionnalisante, implanté depuis plus de 25 ans au Québec, qui est remis en cause. D’aucuns estiment en effet que cette formation, composée pour moitié de crédits de formation disciplinaire et pour l’autre moitié de crédits de formation en éducation incluant au moins 700 heures de formation pratique, pourrait être revue en réduisant à une portion congrue le volet de formation en éducation. Ces personnes s’appuient sur l’idée que le plus important est de s’assurer que les futurs enseignants disposent d’abord et avant tout de « solides connaissances disciplinaires » dans une discipline de formation universitaire.
Un rapport de l’OCDE, basé sur une vaste enquête auprès de groupes d’enseignants débutants dans 30 pays, souligne pourtant que « dans de nombreux pays les établissements de formation des enseignants pourraient accorder trop d’importance aux connaissances relatives au contenu plutôt que de répartir de manière équilibrée les types de connaissances importantes, comme la connaissance du contenu pédagogique ».
D’autres études ont démontré que les enseignants qui ont un baccalauréat disciplinaire et enseignent de manière même temporaire par la suite sans formation pédagogique approfondie ont des pratiques qui favorisent moins le développement des apprentissages de tous les élèves.
De plus, le nouveau référentiel de compétences professionnelles en préparation au ministère révèle la complexité du métier d’enseignant. Il insiste sur la nécessité de les préparer à l’exercice de leur profession en leur permettant d’acquérir des connaissances relatives au cadre scolaire québécois, au développement psychologique de l’enfant et de l’adolescent, aux obstacles épistémologiques à l’apprentissage des élèves, au développement de compétences numériques, au rôle de l’école dans la lutte contre la reproduction des inégalités sociales et dans le développement de citoyens critiques ; aux difficultés d’apprentissage […].
Revalorisation
On voit donc que, si la dimension disciplinaire de la formation à l’enseignement au secondaire est essentielle, elle ne peut s’y réduire. Comment serait-il possible de construire les bases de ces compétences professionnelles dans un programme de formation initiale universitaire professionnalisant réduit a minima ? Il en va, selon nous, du respect d’une profession qui, comme pourraient en témoigner tous ceux qui oeuvrent au quotidien dans les établissements scolaires, s’est grandement complexifiée et a bien besoin de revalorisation.
La pénurie actuelle d’enseignants est un problème complexe qui ne peut se résoudre avec des réponses simples. À cet égard, le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur a mis en oeuvre des initiatives multiples pour rendre plus attractifs les différents programmes de formation à l’enseignement, pour recruter les meilleurs candidats et pour valoriser cette profession : bourses d’excellence dont bénéficie nouvellement un étudiant en formation initiale à l’enseignement sur cinq, rémunération du stage de dernière année.
Le ministre vient aussi de reconnaître comme une voie de formation désormais permanente le programme de maîtrise qualifiante qui permet à des personnes détentrices de baccalauréat dans diverses disciplines de s’engager dans une formation à l’enseignement approfondie. Ce programme a déjà permis à plus d’un millier de personnes d’obtenir un brevet d’enseignement au cours des dix dernières années et continuera de le faire.
Ces initiatives offrent des réponses partielles mais pertinentes au problème de pénurie, même si leur effet reste à documenter et qu’une réflexion de fond doit encore être engagée avec l’ensemble des acteurs du monde de l’éducation sur les leviers et conditions à mettre en place pour former un corps enseignant de qualité, épanoui dans son contexte de travail, pleinement voué à la réussite de tous les élèves et engagé dans une dynamique de développement professionnel continu.
Créativité
Dans le contexte des récentes prises de position mentionnées plus haut, qui mettent en cause les modèles de formation existants, nous estimons qu’il est de notre responsabilité de faire preuve de créativité et de prudence pour réfléchir en collaboration avec les milieux scolaires et les différents intervenants universitaires qui sont nos partenaires de formation aux ajustements qui pourraient être apportés aux programmes existants de formation initiale et continue.
Notre souci est de maintenir une formation professionnalisante de qualité permettant de remplir la triple mission assignée à l’école québécoise, à savoir instruire, socialiser et qualifier. De multiples pistes pourraient être explorées en prenant appui sur des éléments existants dans certains programmes ou en développement. Citons par exemple la création de passerelles entre certaines formations collégiales et les différents baccalauréats en formation à l’enseignement, l’accroissement de l’offre de formation à distance, la mise en place d’activités de formation durant la session d’été, l’insertion de cours à option en éducation dans certains baccalauréats disciplinaires facilitant ensuite l’intégration dans un programme de maîtrise qualifiante, la formation en alternance, etc.
Devant les différents défis que rencontre actuellement le monde de l’éducation, de nombreuses voix se font entendre pour mettre en place une nouvelle commission sur l’état de l’éducation au Québec. Nous pensons que ce vaste forum devrait aussi porter sur les enjeux de la formation à l’enseignement et contribuer à sensibiliser le grand public à l’importance de maintenir une formation universitaire professionnelle à la hauteur des défis actuels et futurs.
*Olivier Dezutter, Isabelle Nizet, Sabrina Moisan, Fatima Bousadra, Joséphine Mukamurera, Lynn Thomas, Jean Gabin Ntebutse, Matthieu Petit, Florian Meyer, Marilyn Steinbach, Christiane Blaser, professeurs de la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke engagés dans la formation initiale à l’enseignement au secondaire.
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