Le Québec doit éviter l’erreur minérale

La demande pour des minéraux comme le lithium, le graphite, le cobalt et le nickel est appelée à exploser d’ici 2050, avec des hausses prévues variant entre 300% et 8000%. Sur la photo, le site où Nemaska Lithium compte bientôt exploiter la mine Whabouchi, à 300 km au nord de Chibougamau.
Photo: Nemaska Lithium La demande pour des minéraux comme le lithium, le graphite, le cobalt et le nickel est appelée à exploser d’ici 2050, avec des hausses prévues variant entre 300% et 8000%. Sur la photo, le site où Nemaska Lithium compte bientôt exploiter la mine Whabouchi, à 300 km au nord de Chibougamau.

Alors que Québec finalise sa « réflexion » sur l’avenir des « minéraux critiques et stratégiques », notamment pour soutenir l’électrification des transports, nous interpellons le gouvernement Legault pour qu’il ne répète les erreurs du passé.

Québec doit être visionnaire, exemplaire et cohérent dans une démarche de transition à la fois énergétique et écologique. Nous sommes préoccupés par l’impact de l’extraction des ressources minérales non renouvelables sur les plans social, environnemental et économique.

Une voiture moyenne contient l’équivalent de 10 000 téléphones cellulaires en minéraux et en matériaux de toutes sortes. À cela s’ajoutent tous les matériaux nécessaires à la construction et à l’entretien du réseau routier.

Dans le dernier rapport Global Resources Outlook 2019, les Nations unies sonnent l’alarme sur la croissance exponentielle de l’utilisation des ressources primaires, qui a plus que triplé depuis 1970 et qui est appelée à doubler d’ici 2060 si rien n’est fait. À elles seules, l’extraction et l’utilisation des minéraux représentaient 20 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) à l’échelle mondiale en 2017, soit le double de vingt ans auparavant.

Au Québec, les constats de l’État de l’énergie 2020 et de l’Inventaire des émissions de GES sont clairs : pour faire face à l’urgence climatique, Québec n’a d’autre choix que de s’attaquer au secteur des transports, le plus grand émetteur de GES (43 %), en hausse de 22 % depuis 1990. Ce secteur est alimenté à hauteur de 97 % par des carburants fossiles.

Pour combattre ce fléau, le Québec, comme de nombreux États à l’international, prévoit électrifier ses transports. Or, voilà le dilemme : l’électrification massive des transports, combinée à l’expansion croissante du parc automobile, entraîne un boom sans précédent de l’extraction et de l’utilisation des ressources primaires.

Selon la Banque mondiale et l’Institute for Sustainable Futures, en Australie, la demande pour des minéraux comme le lithium, le graphite, le cobalt et le nickel est appelée à exploser d’ici 2050, avec des hausses prévues variant entre 300 % et 8000 %, selon les différents scénarios analysés.

Tel que le souligne la Banque mondiale, « des défis importants émergeront si la transition énergétique n’est pas gérée de manière responsable ». On constate déjà l’effet de ce boom minéral au Québec, par une augmentation de 50 % des dépenses minières pour le graphite et de 789 % pour le lithium entre 2013 et 2018.

Acceptabilité sociale

 

Plusieurs projets miniers suscitent déjà des enjeux d’acceptabilité sociale parce qu’ils sont situés à proximité de milieux fragiles sur les plans écologique, social et économique. Ce boom touche particulièrement les régions du sud du Québec, dont celle des Laurentides, de Lanaudière et de l’Outaouais, des régions densément peuplées et à forte vocation touristique.

En Abitibi-Témiscamingue, c’est la protection d’eskers d’eau potable — l’or bleu — qui mobilise la région par rapport à des projets de lithium. Dans la région touristique de Saint-Michel-des-Saints, le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) se penche actuellement sur un projet de graphite qui déchire la population. Le stockage de millions de tonnes de déchets miniers contenant des acides et des métaux lourds est au coeur du débat.

Certaines collectivités, qui tentent de protéger des milieux fragiles de leur territoire, sont déjà sous le coup de menaces juridiques de la part de minières peu scrupuleuses. La poursuite de 96 millions de Canada Carbon contre Grenville-sur-la-Rouge est le cas le plus connu.

Pour sa part, la nation algonquine Mitchikanibikok du lac Barrière prend les devants et conteste actuellement la Loi sur les mines devant les tribunaux. De l’avis de plusieurs juristes, les principes qui sous-tendent la loi depuis le XIXe siècle sont inconstitutionnels et doivent être réformés.

Tel que le souligne l’Institut de l’environnement, du développement durable et de l’économie circulaire, une politique de production et de consommation responsables des minéraux est nécessaire pour « agir sur l’enjeu de la préservation des ressources et de l’environnement naturel ».

C’est peu connu du public, mais le secteur minier génère des quantités phénoménales de déchets solides. Les plus récentes statistiques disponibles indiquent que la production de déchets miniers a bondi de 300 % (quadruplé) en 10 ans au Québec. Cela représente de loin la principale source de déchets solides au Québec, soit plus de 20 fois la quantité des déchets domestiques destinés à l’enfouissement.

Revoir nos façons de faire

 

Québec compte 75 sites d’enfouissement de matières résiduelles, plus de 221 sites miniers abandonnés dont il doit assurer le suivi et l’entretien à long terme (siècles), et une trentaine de sites actifs.

La facture officielle pour la sécurisation et la restauration de tous ces sites est estimée à 2,2 milliards ; environ la moitié pour des sites actifs, dont Québec détient une garantie financière. L’autre moitié concerne des sites abandonnés dont la facture est présentement transférée à 100 % aux Québécois.

Québec a également perdu près de 1 milliard de fonds publics ces dernières années dans des projets mal ficelés, dont des projets de lithium. Oui, l’électrification des transports est une partie importante de la solution, mais elle demeure insuffisante. La transition écologique impose de revoir en profondeur nos façons de faire, de l’extraction des ressources et de leur consommation jusqu’à leur sort en fin de vie.

Dans leur dernière étude sur cet enjeu, le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) interpelle justement tous les États du G7 — les pays les plus riches — à en faire davantage pour réduire l’empreinte globale de l’utilisation des ressources primaires.

Le PNUE vise particulièrement le secteur de l’automobile. Il souligne qu’avec des politiques cohérentes en matière de mobilité durable, tels l’aménagement intelligent du territoire et des villes, le transport collectif et le covoiturage, les États du G7 peuvent réduire de 20 % à 40 % les émissions GES liés aux transports, et ce, en sus des gains possibles avec l’électrification des transports.

Somme toute, une transition écologique dans le secteur des transports ne peut pas simplement se résumer à remplacer des millions de véhicules à essence par des millions de véhicules électriques. Québec doit travailler activement à réduire la taille globale du parc automobile et à investir massivement dans des solutions qui soient à la fois sobres en carbone et sobres en matériaux.

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