Une archéologie en ruine

L’aboutissement de la crise de l’archéologie québécoise, esquissée à grands traits par le journaliste Stéphane Baillargeon dans Le Devoir du 30 janvier, était écrit dans le ciel, depuis déjà une trentaine d’années.
Dans les années 1990, on a assisté à une privatisation tous azimuts dans les divers secteurs du patrimoine, à Montréal comme ailleurs.
Ce vent néo-libéral a causé l’atomisation de de la discipline archéologique, qui s’est vue morcelée en une myriade de compagnies du secteur privé, qui s’entre-déchirent pour obtenir au plus bas prix une constellation de petits contrats souvent mal planifiés et aux méthodologies disparates. Les premiers à souffrir de cette situation sont les professionnels et les techniciens de l’archéologie, qui doivent vivre avec des budgets presque toujours faméliques et qui sont privés des cadres de référence structurés qui permettraient d’unifier et d’enrichir la recherche archéologique.
L’archéologie ne devrait pas être une discipline à but lucratif, d’abord parce que les sommes budgétaires qu’on lui consacre annuellement sont trop faibles, mais aussi parce qu’elle doit bénéficier d’une coordination centrale dans chaque région. Car rares sont les problématiques de recherche et d’intervention qui peuvent être étendues à un territoire aussi vaste et diversifié que le Québec.
Pourtant à Montréal, au début des années 1980, l’Entente MACQ-Ville de Montréal sur la mise en valeur du Vieux-Montréal et du patrimoine montréalais avait confié la réalisation de toutes ses interventions archéologiques à un mandataire institutionnel unique, le Musée du Château Ramsay. Ce musée avait créé un groupe de recherche et d’intervention sous l’égide du Laboratoire d’archéologie de Montréal.
Ce laboratoire avait pour mission de réaliser la programmation archéologique conçue par l’entente MACQ-Ville dans l’arrondissement du Vieux-Montréal, puis à partir de 1989, sur l’ensemble du territoire de la ville. Le Musée, par l’entremise de son coordonnateur, élaborait ces mandats d’archéologie, engageait des chargés de projets et supervisait une équipe de soutien. Enfin, il coordonnait les travaux ainsi que les problématiques de recherche et la rédaction des rapports. Quant au Musée, il faisait des avances de fonds, payait les comptes et distribuait les payes. Il bouclait aussi la gestion administrative en ne prenant qu’une commission de 30 % sur les devis.
Virage
Mais ce Laboratoire a été fermé en 1990, à la suite du virage à 180 degrés de Montréal, qui du jour au lendemain lui a coupé tous les budgets de l’entente. La Ville s’est alors retournée vers l’entreprise privée, contribuant de manière non négligeable à créer la crise qui est aujourd’hui celle de l’archéologie au Québec.
Dans l’ancien système du mandataire unique, tous les intervenants trouvaient leur profit, l’entente MACQ-Ville autant que le Musée mandataire, et ce, malgré sa faible majoration, si on la compare à celles de 125 % à 200 % que prenaient les firmes privées à l’époque. Quant à la quinzaine d’archéologues professionnels et d’assistants du Laboratoire de Montréal, ils travaillaient à l’année, disposaient de beaucoup plus de temps qu’au privé pour les fouilles, les recherches ou les rédactions et, surtout, pouvaient compter, grâce à la mise en commun des ressources et à l’absence de profits, sur toute une infrastructure de services. Le pactole quoi, si on compare aux conditions misérables dans lesquelles travaillent aujourd’hui fréquemment les employés des firmes privées d’archéologie.
Mentionnons aussi que ce cadre plus stable était favorable à l’élaboration de problématiques de recherches en archéologie, comme celle du développement des services publics à Montréal, et à l’établissement de partenariats avec des Universités, comme celui qui commençait à s’établir en 1989 avec des spécialistes de l’histoire urbaine de l’UQAM.
Mais n’en doutons pas, l’archéologie, à Montréal notamment, est devenue une ruine à côté de ce qu’elle a déjà été… Il n’empêche que, pour résoudre la crise actuelle de l’archéologie, il serait sûrement utile de s’inspirer de la pratique de cette discipline à l’époque de l’entente MACQ-Ville de Montréal. Les archéologues montréalais, les bureaux régionaux des Ministères, les Services de la Ville de Montréal, les universités et un musée y trouveraient sûrement leur compte. Et sans doute aussi, les firmes d’architectes, les promoteurs immobiliers et les entrepreneurs, qui ont tout intérêt à faire affaire avec une seule agence archéologique expérimentée et aux reins solides…