Le gouvernement fédéral a sa part de responsabilité

«Sur un total de 16 nominations à la Commission des libérations conditionnelles, seulement 2 commissaires d’expérience sont demeurés en poste», souligne l'auteur.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir «Sur un total de 16 nominations à la Commission des libérations conditionnelles, seulement 2 commissaires d’expérience sont demeurés en poste», souligne l'auteur.

Le meurtre sordide de Marylène Lévesque, une jeune femme de 22 ans de Sainte-Foy, m’attriste et me consterne à la fois. Ce crime aurait pu être évité si le gouvernement fédéral de Justin Trudeau avait pris le temps d’écouter nos préoccupations en novembre 2017.

Pour y avoir oeuvré à titre de commissaire, j’ai été en mesure de constater que le système canadien des libérations conditionnelles n’est pas parfait, mais que, de manière générale, les résultats démontrent une très grande qualité des décisions rendues. Il ne faut jamais oublier que les décisions de tous les dossiers sont prises par des humains qui évaluent la notion de risque en fonction des informations disponibles et principalement fournies par le Service correctionnel du Canada. Le risque nul n’existe pas.

Cela étant dit, je suis d’avis qu’il doit absolument y avoir une enquête dans le dossier d’Eustachio Gallese — accusé du meurtre sans préméditation de Marylène Lévesque —, car à première vue, il semble y avoir eu des ratés importants. Je n’ai jamais vu cela de ma carrière, qu’un délinquant incarcéré pour le meurtre de sa conjointe puisse obtenir une semi-liberté et bénéficier d’une stratégie développée par son équipe de gestion de cas du Service correctionnel du Canada afin qu’il puisse rencontrer des femmes pour répondre à ses besoins sexuels.

Pourtant M. Gallese devait respecter la condition spéciale « Informer votre surveillant de libération conditionnelle immédiatement de toutes vos fréquentations ou relations intimes (sexuelles et non sexuelles) avec les femmes et l’évolution de celles-ci ». Tout cela ne tient pas la route !

Il faudra regarder en détail les fondements et les justifications des décisions prises par les commissaires de la Commission des libérations conditionnelles du Canada en mars et en septembre 2019 dans ce dossier. Une telle récidive dans un contexte de semi-liberté d’un délinquant fédéral ne devrait jamais se produire.

Malheureusement, et malgré les mots de condoléances exprimés par le ministre de la Sécurité publique du Canada, le gouvernement de Justin Trudeau a sa part de responsabilité. En effet, en 2016 et en 2017, le fédéral a pris la décision de modifier le processus de nomination des commissaires de la Commission des libérations conditionnelles du Canada tout comme le processus de renouvellement des commissaires.

 

Ces changements ont eu des répercussions majeures sur le fonctionnement de la Commission, sur la perte d’expertise, de connaissances et d’expérience des commissaires, sur le manque d’encadrement en audience par des commissaires d’expérience, sur le climat de travail au sein de l’organisation et sur le surmenage des commissaires et du personnel.

En novembre 2017, nous étions un groupe d’une dizaine de commissaires du Québec à faire parvenir une lettre à Justin Trudeau et au greffier du Conseil privé du Canada, Michael Wernick, afin de leur faire part de nos préoccupations au sujet des modifications des processus de nomination et de renouvellement.

En plus des retards importants de nominations, à partir de 2017, la presque totalité des commissaires d’expérience n’ont pas vu leur mandat renouvelé. Sur un total de 16 nominations, seulement 2 commissaires d’expérience sont demeurés en poste. C’est donc dire que 14 nouvelles personnes ont chaussé les souliers de commissaire et, pour la majorité, elles n’avaient aucune expérience dans l’évaluation des risques.

Au-delà de nos préoccupations, nous avons clairement demandé au premier ministre du Canada et au greffier du Conseil privé de maintenir en place le processus de renouvellement de commissaires d’expérience.

Ni le premier ministre Justin Trudeau ni le greffier du Conseil privé du Canada, Michael Wernick, n’ont donné suite à cette lettre ou à nos préoccupations. La presque totalité des commissaires d’expérience a été remplacée par de nouveaux commissaires sans expérience. Comme nous l’avions perçu, le mandat de la protection du public était en péril, et le meurtre de Marylène Lévesque en est malheureusement une preuve tangible.

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