Lutter pour le climat sans démocratie délibérative?

«La population du Québec n’en peut plus des belles paroles, elle veut des résultats concrets», croit l'auteur.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir «La population du Québec n’en peut plus des belles paroles, elle veut des résultats concrets», croit l'auteur.

Les travaux de la commission parlementaire sur le projet de loi 44 « visant principalement la gouvernance efficace de la lutte contre les changements climatiques et à favoriser l’électrification » viennent de reprendre. Il s’agit du seul projet de loi « climatique » annoncé par Québec et, à moins de changements majeurs, il échouera encore une fois à ce que le Québec atteigne ses objectifs.

Pire, il sera inutile pour nous préparer collectivement à présenter des cibles plus ambitieuses à la Conférence des parties de la Convention sur les changements climatiques de Glasgow à la fin de l’année, où M. Legault a annoncé sa présence.

Pourquoi ? Parce qu’il reproduit exactement la même approche bureaucratique traditionnelle « du haut vers le bas », qu’il écarte totalement l’implication et la consultation de la population et élimine tout mécanisme crédible de reddition de comptes. À cet égard, il accorde au Commissaire au développement durable un rôle restreint à la seule « gouvernance financière » du Fonds vert, mais sans mandat pour évaluer et commenter les objectifs climatiques retenus par le gouvernement, les moyens pour parvenir à leur atteinte et le suivi annuel des cibles.

Pragmatisme

 

M. Legault se targue d’être un pragmatique, ce qui en soi est une qualité. Les grandes manifestations collectives de cet automne ont démontré que la population du Québec n’en peut plus, des belles paroles, elle veut des résultats concrets. Être pragmatique n’empêche pas du tout de se fixer des cibles ambitieuses à la hauteur des défis inédits, mais oblige à se doter de moyens efficaces pour que toutes les parties prenantes se sentent impliquées, à les tenir informées du chemin parcouru et de ce qui reste à accomplir, ainsi qu’à leur donner les moyens de débattre des meilleures façons d’y parvenir.

Or le projet de loi 44 ne fait rien de cela. Il abolit des comités d’experts pour en créer d’autres, tous nommés sans consultation. Il retire à la Régie de l’énergie le pouvoir de donner son avis sur la capacité du futur « plan directeur en transition, innovation et efficacité énergétiques » d’atteindre ses objectifs.

Il remplace dans la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE) l’obligation actuelle du ministre responsable de proposer au gouvernement « un plan d’action pluriannuel visant la réduction des GES » par celle de proposer au gouvernement « une politique-cadre sur les changements climatiques ». Wow ! Je ne comprends pas l’absence de frissons sur mes bras… Est-ce parce que, comme citoyen préoccupé par l’environnement et la démocratie, je ne me sens pas du tout interpellé ?

Or, la LQE contient un mécanisme qui pourrait être fort utile pour impliquer la population dans ces enjeux où nous devons tous collaborer. Cette loi prévoit, depuis 2017, une procédure d’évaluation environnementale stratégique (EES) et y consacre un chapitre complet. Ce type d’évaluation, bien connu sur la scène internationale, permet d’informer et de consulter la population sur les plans, stratégies, politiques et programmes élaborés par l’administration publique. Cet outil existe dans la loi, mais aucun gouvernement n’a encore adopté le règlement nécessaire à sa mise en oeuvre.

C’est ainsi que la « Politique-cadre sur les changements climatiques » prévue par le projet de loi 44 échapperait à cette évaluation. En revanche, la loi prévoit que le gouvernement peut assujettir à une telle évaluation tout programme de l’administration « lorsque ces programmes sont susceptibles d’avoir des incidences significatives sur l’environnement ». Il est évident que la politique-cadre sur les changements climatiques répond à ce critère !

Mécanisme

 

Pourquoi le gouvernement écarte-t-il cette façon d’informer, de consulter et de sensibiliser l’ensemble des parties prenantes sur les enjeux climatiques et les solutions nécessaires pour atteindre nos objectifs ? Pourquoi, comme prévu par la loi, ne pas donner au BAPE le mandat de tenir les consultations entourant une telle évaluation environnementale stratégique ?

Les enjeux et les difficiles décisions entourant la crise climatique nécessitent de renforcer nos mécanismes de démocratie délibérative et de reddition de comptes. À défaut de se sentir informées et consultées dans l’élaboration des cibles exigées par l’ampleur de la crise climatique, bien des personnes pourraient se dire, pragmatiquement, que nos lois et nos manifestations festives ne donnent rien et envisager des formes d’actions autrement plus violentes, ce qui n’est pas souhaitable.

Il faut exiger du gouvernement Legault qu’il apporte les changements nécessaires au projet de loi 44 et mette en oeuvre les divers mécanismes de la LQE permettant d’associer la population à sa politique-cadre sur les changements climatiques et aux objectifs ambitieux que le Québec se doit d’atteindre.

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