Pour une conversation collective sur la protection de la jeunesse

La Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse poursuivait ses audiences cette semaine. Celles-ci ont essentiellement été consacrées aux témoignages des directions de la protection de la jeunesse de différentes régions du Québec, qui ont notamment plaidé pour une école de formation qui prendrait pour modèle celle de Nicolet dont bénéficient les corps de police.
Cette proposition laisse entendre que les problèmes rencontrés par les centres jeunesse viendraient d’abord de la formation des intervenants. Si cette question de la formation mérite d’être posée, nous doutons cependant que l’uniformisation de celle-ci — sous la forme d’une « école » — réponde à la nécessité de multiplier les regards, les points de vue et les savoirs sur une institution qui doit d’abord, et avant tout, accepter l’ouverture d’une conversation collective sur son histoire, ses transformations et ses manières de faire.
Ensemble d’acteurs
Cette conversation devrait s’ouvrir, selon nous, à trois ensembles d’acteurs que l’on entend encore trop peu. D’abord, les acteurs de la recherche en sciences sociales, qu’ils soient historiens, sociologues, juristes, politologues ou géographes, susceptibles de nourrir des réflexions sur la jeunesse et sur les manières dont elle est traitée, au-delà d’un discours expert sur la réadaptation qui, quoique nécessaire, risque toujours de refermer le dialogue au nom d’une vérité incontestable.
Ensuite, les intervenants de terrain, qu’ils soient éducateurs ou gestionnaires et qui, malgré les contraintes de l’action, ne cessent de réfléchir et de remettre en question leurs propres manières de faire, dans l’espace encore trop invisible des bureaux de suivi et des services de placement. Enfin, les jeunes eux-mêmes et leur famille, qui à force de côtoyer l’institution développent à son propos une diversité de savoirs qui seraient susceptibles de bousculer bien des certitudes.
Symboliquement, la semaine qui s’est écoulée a ainsi été marquée par la sortie — aussi incisive que décisive — de la présidente de la Commission, Régine Laurent, exigeant, face à la sous-ministre adjointe du ministère de la Santé et des Services sociaux, que l’on entende enfin les intervenants et les acteurs de terrain, empêchés jusqu’à maintenant de parler ouvertement.
Permettons-nous de dire que cette culture du silence ne fait pas qu’entraver l’enquête en cours. Elle risque aussi, et plus fondamentalement, d’enliser le débat public dans des discours institutionnels qui nourrissent l’autojustification du système et des pratiques qui y sont valorisées et plébiscitées au détriment d’un renouvellement nécessaire des regards et des paroles.
Le fait que certains acteurs clés s’imposent le silence, que d’autres ne soient pas même admis comme interlocuteurs légitimes, restreint en effet de manière concrète les possibilités d’ouvrir une conversation collective, seule à même de nourrir une réflexion politique ambitieuse sur le traitement de la jeunesse au Québec. Le risque est alors grand de passer à côté de l’opportunité d’investir collectivement cet espace — encore fragile — de discussion autour d’enjeux qui nous concernent toutes et tous.