Réforme du mode de scrutin: l’île de Montréal sur le banc des punitions?

En déposant son projet de loi 39 qui propose d’instaurer un nouveau mode de scrutin, le gouvernement Legault s’est bien gardé d’épiloguer sur les détails de la formule proposée. La documentation accompagnant le projet de loi était d’une pauvreté pour le moins inédite en la matière.
Prenons une question simple : combien de sièges iront à chaque région ? La réponse implicite du gouvernement semble avoir été : lisez le projet, trouvez les chiffres et calculez vous-même. Je l’ai fait.
Le gouvernement propose un redécoupage électoral basé sur les 17 régions administratives. Les 80 sièges de circonscription et les 45 sièges de région seront répartis entre les régions selon une formule qui a pour effet de gonfler artificiellement le poids démographique des entités les moins peuplées. Le but affiché de cette entorse au principe de l’égalité des électeurs est de préserver le poids politique actuel des régions.
Si l’on dispose du nombre total d’électeurs inscrits dans chaque région, on peut connaître le résultat probable de l’opération. Deux séries statistiques sont disponibles à Élections Québec : le nombre d’électeurs inscrits lors des élections de 2018, et celui des électeurs figurant actuellement sur la liste électorale permanente. Les deux donnent exactement le même résultat.
Montréal pénalisée
Un premier constat s’impose d’emblée : le projet de loi ne préserve pas le poids politique actuel des régions. Il fait plus que maintenir la surreprésentation de certaines régions rurales et éloignées, il l’accentue davantage.
L’île de Montréal serait amputée de 11 % de son poids actuel, soit trois sièges. Avec 24 % de la population du Québec et 21 % des électeurs, elle devrait se contenter de 19 % des députés. Aux élections fédérales, Montréal a 18 circonscriptions sur 78. Au Québec, elle n’en aurait que 16 sur 80, soit deux de moins sur deux de plus.
Il se trouvera probablement des Montréalais pour subodorer un lien entre cette cure d’amaigrissement pour le moins ciblée et le score étonnamment faible obtenu par la CAQ l’an dernier (17 % du vote, contre 42 % pour le reste du Québec), une constante des trois dernières élections. Deux régions, l’Outaouais et la Mauricie, vont obtenir un député de plus. On pourrait y ajouter le Centre-du-Québec, bien que quelques chevauchements territoriaux gênent l’analyse.
Députés nommés
Pas moins de quatre régions compteront un seul siège de liste. Lorsque viendra le temps de pourvoir ce siège en cas de vacance survenue en cours de mandat, un sérieux problème de légitimité surgira parce que le projet de loi pose à cet égard deux règles inédites dont les implications ne semblent pas avoir été pleinement réalisées.
Tout d’abord, le nombre de candidats de liste que chaque parti peut présenter ne peut excéder le nombre de sièges de région à pourvoir : un siège, un candidat. Une limite aussi draconienne n’existe nulle part. Que va-t-il arriver si l’unique député de région meurt ou démissionne en cours de mandat ? Là, le projet de loi devient presque hallucinant : la liste de candidats étant maintenant « épuisée », le parti nommera pour lui succéder « un électeur […] pourvu qu’il ne soit pas inéligible » !
À ma connaissance, il est pratiquement sans exemple qu’un individu puisse devenir député sans même avoir été candidat. Au moment où les adversaires de la proportionnelle, de façon peu honnête, nous assurent que tout élu de liste sera un député « nommé », le gouvernement semble avoir fait tout son possible pour leur donner raison.
Astuce
Le mode de scrutin promis était censé « refléter le plus possible » le vote populaire des Québécois. Grâce à une astuce comptable inventée par le gouvernement, il se révèle moins proportionnel que celui proposé par le gouvernement Charest en 2004 (pour les mordus du sujet, l’indice de Gallagher est de 9 au lieu de 7). Mais il y a plus : il propose de diminuer de façon radicale le poids politique de la plus peuplée des régions du Québec, soit l’île de Montréal.
Ses auteurs ne semblent pas avoir réalisé que certaines de ses dispositions peuvent être perçues comme une volonté de remettre « à sa place » une région démographiquement importante, mais ethno-linguistiquement atypique, pour son manque d’enthousiasme vis-à-vis du gouvernement actuel. D’autres particularités du projet trahissent plutôt une dose d’amateurisme qu’on n’escomptait pas. On attribue souvent à la malveillance ce qui relève plus simplement du manque de jugement. L’un ou l’autre n’est guère excusable en pareille matière.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées en accueillant autant les analyses et commentaires de ses lecteurs que ceux de penseurs et experts d’ici et d’ailleurs. Envie d’y prendre part? Soumettez votre texte à l’adresse opinion@ledevoir.com. Juste envie d’en lire plus? Abonnez-vous à notre Courrier des idées.