Bibliothèques scolaires: le passé nous fait de gros yeux

L’état déplorable des bibliothèques scolaires faisait encore la manchette récemment. Pourtant, on aurait pu prévoir une amélioration depuis la phrase malheureuse de l’ancien ministre de l’Éducation Yves Bolduc, qui cherchait à justifier des coupes dans l’acquisition des collections : « Il n’y a pas un enfant qui va mourir de ça », disait-il. M. Bolduc avait dû se récuser devant l’indignation généralisée.
Si le gouvernement injecte désormais des sommes plus importantes pour garnir les rayons, on rapporte toutefois qu’un quart des commissions scolaires n’ont toujours pas de bibliothécaire dûment formé à leur service. Pire, plusieurs écoles n’ont simplement plus de locaux consacrés aux livres et à la lecture. En maints endroits, les classes ont pris la place des anciennes bibliothèques.
Des enseignants qui ont connu de plus beaux jours se désolent. Entre leur réalité et les standards établis par la recherche, l’écart est immense. Le professeur Martin Lépine, de la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke, rappelait récemment que chaque école devrait avoir sa propre bibliothèque. Chaque classe devrait aussi posséder un minimum de 500 livres pour instiller le goût de la lecture chez les enfants.
Magasin de livres
Ce n’est pas d’hier que de semblables principes sont établis au Québec. Un détour par l’histoire nous éclaire, en effet, sur la chose. En 1939, il y a 80 ans de cela, bien avant les réformes inspirées du rapport Parent, on était déjà au fait des standards professionnels devant guider l’organisation des bibliothèques scolaires.
En 1941, le père P.-A. Trudeau donnait une causerie devant des confrères enseignants et directeurs d’école. Nouvellement diplômé de l’École des bibliothécaires de l’Université de Montréal, fondée en 1937, il y avait acquis les meilleurs principes inspirés des pratiques américaines pour l’aménagement et le fonctionnement des bibliothèques. Voilà qu’il en instruisait ses collègues en vue d’une modernisation de leurs établissements.
Dans sa causerie, le père Trudeau insistait pour que les bibliothèques des écoles ne soient plus de simples « magasins de livres ». Parce que ces lieux sont investis d’une haute mission pédagogique, rien dans leur aménagement ne devait être laissé au hasard, depuis la facture des meubles « en bois franc » et d’une couleur qui ne fatigue pas les yeux, jusqu’au recouvrement du plancher capable d’atténuer le bruit.
La précision des indications données montre le sérieux avec lequel le clerc envisageait la fonction éducative des bibliothèques : « Pour une école de 250 élèves, il faut au moins 25 sièges […] il faut en somme conserver l’espace occupé par deux classes de 25 par 30 pieds. »
« [L]e magasin des livres doit être dans la même salle de lecture » et « [l]a surface des murs doit être couverte de rayons », ajoutait-il. Les conseils du diplômé en bibliothéconomie s’élargissaient à d’autres aspects : l’achat des livres, la reliure, le catalogage, mais, surtout, l’animation auprès des élèves. Seuls des professionnels formés à cette tâche délicate devaient s’en acquitter et, pour cette raison, la présence d’un bibliothécaire était nécessaire « toute la journée ».
Devoir social
Plus loin dans son discours, le père Trudeau précisait sa pensée sur le rôle du bibliothécaire. Celui-ci avait le devoir de bien connaître la « clientèle » scolaire et de faire preuve de psychologie en s’adressant à « ceux qui ne lisent pas et dont il faut s’occuper avec plus d’attention pour développer chez eux le goût de la lecture ». « Oui, que d’enfants ne lisent pas, parce qu’ils trouvent la lecture ennuyante ! Et cela n’est guère surprenant si l’on examine la façon d’administrer nos bibliothèques scolaires […]. Il faut s’occuper de l’enfant, il a le droit de cité. »
Il est désolant que ces propos, prononcés au début des années 1940, soient encore pertinents pour décrire notre réalité. Les archives historiques ont ceci d’intéressant qu’elles peuvent révéler les avancées et les reculs d’une société.
S’ils pouvaient visiter les écoles d’aujourd’hui, P.-A. Trudeau et les autres pionniers des bibliothèques scolaires, dont plusieurs furent des femmes, seraient probablement outrés des découvertes qu’ils feraient. À leur époque, et sans être aussi renseignés que nous le sommes sur les liens étroits entre les habiletés de lecture et la réussite scolaire, ces professionnels du livre étaient déjà convaincus du grand soin qu’il fallait apporter aux bibliothèques des écoles.
Il s’agissait pour eux d’un devoir social. Qu’avons-nous abandonné en route ? Pourquoi les écoles québécoises manquent-elles de livres ? Alors que s’amorce la campagne « Je parle français par coeur », oserions-nous une campagne nationale sur l’importance de la lecture pour une société qui se veut éclairée ?