Dehors, le clergé

N’eût été la sagacité d’une journaliste du quotidien Le Devoir (« Le clergé écarté de l’ordre de préséance pour les cérémonies publiques au Québec », 22 novembre 2019), la nouvelle de l’exclusion de tout membre du clergé catholique romain de l’ordre de préséance du Québec aurait passé totalement inaperçue.
La journaliste ajoute même que c’est par la voie de son journal que la nouvelle a été communiquée au principal intéressé, le cardinal Gérald C. Lacroix, archevêque de Québec et primat du Canada. C’est vrai qu’une modification dans l’ordre de préséance, dont l’initiative relève de l’exécutif, ne change pas le monde… mais cela exprime une intention qui mérite d’être expliquée.
D’abord, rappelons brièvement que cet ordre de préséance est un instrument protocolaire qui désigne les personnes considérées comme importantes dans une société donnée. Conséquemment, il guide le gouvernement lorsque vient le moment d’établir un rang lors de prises de parole, de salutations dans les discours officiels et la place qu’occupent certains dignitaires dans les cérémonies officielles, notamment.
On comprend que l’exercice n’est pas simple à réaliser lorsque les valeurs, généralement adoptées par des segments de la population de plus en plus diversifiés au Québec, sont soumises à des évolutions profondes et rapides. Il en est ainsi du principe de laïcité de l’État, invoqué par une source citée par la journaliste pour justifier l’exclusion de tout représentant du clergé de l’ordre de préséance du gouvernement du Québec.
Cela est regrettable pour au moins deux raisons. D’abord, il est convenu dans notre société que la séparation de l’Église et de l’État est un fait bien établi et accepté, même du côté du clergé. Ainsi, nous pourrions bien reconnaître que la notion d’une préséance d’ordre protocolaire n’est plus considérée comme un droit, mais plutôt comme une marque de déférence pratiquée par une société qui sait reconnaître le rôle important de l’Église dans l’établissement des grandes missions de l’État (éducation, santé, services sociaux, coopération, notamment) qui ont conduit à la société évoluée, développée et prospère que nous connaissons aujourd’hui.
Ensuite, si l’importance que l’on accorde à certaines personnes dans l’Ordre de préséance repose sur leur degré de représentativité sociale, on peut difficilement ignorer que divers relevés statistiques révèlent que la grande majorité (certains disent 74,7 %, d’autres 90,7 %) de la population québécoise déclare être de confession catholique romaine. Alors, si l’on considère que l’archevêque catholique de Québec, cardinal et primat du Canada, s’avère le chef d’une des plus imposantes composantes de notre société, ne peut-on pas considérer plutôt mesquin, obtus et d’une grande incivilité de l’exclure, sans préavis ni consultation, de l’ordre de préséance du Québec ?