Le gouvernement du Québec comme entrepreneur minier

Lors d’une allocution présentée devant des membres de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain le 27 septembre dernier, le ministre Pierre Fitzgibbon a dévoilé l’intention du gouvernement québécois de jouer un rôle actif dans l’extraction et la transformation du lithium au Québec : « Je pense qu’on doit, comme gouvernement, contrôler comment le lithium est extrait, converti et à qui on va le vendre. »
Le lithium est un métal utilisé dans la fabrication de batteries électriques qui font déjà partie de notre vie quotidienne par leur présence dans les cellulaires, les tablettes et les véhicules électriques. L’accélération de la conversion du parc automobile du moteur à combustion vers le moteur électrique et l’usage croissant de l’énergie solaire sont deux facteurs qui pourraient entraîner une forte expansion de la demande mondiale de ce métal. Une étude récente réalisée par KPMG pour le compte de Propulsion Québec laisse entrevoir la possibilité d’un développement intéressant d’une filière québécoise s’appuyant sur l’extraction de ce minerai et sa transformation locale en composantes de batteries électriques.
Le gouvernement prépare présentement une politique à ce sujet et il compte jouer un rôle actif comme entrepreneur. Ce ne serait pas la première fois que le gouvernement du Québec adopterait le rôle d’entrepreneur minier en ayant comme objectif de favoriser la transformation en aval d’un minerai extrait du sous-sol dont il est le propriétaire.
En 1970, Sidbec-Normines, copropriété de Sidbec (50 %) elle-même une société d’État créée en 1964, de British Steel (41 %) et de Québec Cartier Mining (9 %), s’installa à Gagnonville pour extraire du minerai de fer qui sera transformé à une nouvelle usine de boulettage à Port-Cartier et acheminé à l’aciérie de Sidbec à Contrecoeur. La production des boulettes fut partagée entre les trois copropriétaires selon leur part des actions. La production minière prit fin en 1985 et Gagnonville fut complètement rasée. Sidbec fut privatisée en 1994. En 2001 le quotidien Globe and Mail estima à 693 millions de dollars la perte subie par le Trésor public du Québec dans cette initiative. En 1977, le gouvernement québécois créa la Société nationale d’amiante afin de prendre le contrôle de cette industrie qui existait déjà depuis plus de cent ans en sol québécois et qui était le premier producteur mondial. L’objectif visé était encore une fois la transformation locale accrue d’un minerai extrait au Québec. Le moment de cette prise de contrôle fut inopportun, car l’usage des produits dérivés de l’amiante chuta rapidement et fut banni dans la plupart des pays industrialisés. Ces déboires amenèrent le gouvernement à privatiser sa société d’État en 1992 ; le coût estimé de cette initiative est de 500 millions de dollars.
La société québécoise Nemaska Lithium a développé une mine à Whabouchi sur le territoire de la Baie-James et une usine de transformation est implantée à Shawinigan. Le coût du projet a subi des dépassements et maintenant il est établi à 1,3 milliard de dollars, dont 130 millions de dollars proviennent du gouvernement québécois. À la suite de difficultés financières, l’entreprise vient de renvoyer la moitié de sa main-d’oeuvre, soit 64 personnes, et le projet est en veilleuse. D’autres projets québécois de mines de lithium sont à différentes étapes de développement. La mine La Corne en Abitibi, qui fut lancée par North American Lithium, a accumulé plus de 200 millions de dollars en dette et elle s’est mise sous la protection de la loi sur les faillites avant même d’entrer en production. Le gouvernement du Québec possède 5 % de ses actions, et Investissement Québec vient d’avancer 5 millions de dollars pour éviter la fermeture du projet.
L’exploitation des ressources minières dont le gouvernement est propriétaire peut apporter une contribution à la richesse collective lorsque les revenus excèdent non seulement les coûts de production, mais aussi les coûts environnementaux. Ce n’est pas le cas lorsque le gouvernement doit soutenir les projets par des subventions, des avances de fonds offrant peu ou n’offrant pas de rendement, des tarifs réduits d’électricité et des reprises de sites miniers orphelins. Ces coûts ne contribuent pas à l’enrichissement collectif, mais à son appauvrissement. Malheureusement, les expériences négatives du gouvernement québécois comme entrepreneur minier ne semblent pas réduire l’attrait qu’il a pour l’extraction et surtout la transformation locale du minerai tiré du sous-sol québécois.
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