Les femmes migrantes laissées à elles-mêmes au Canada

«Comme le montre l’étude que nous venons de terminer à Montréal, les femmes migrantes (et leur famille) sans assurance publique de santé doivent souvent renoncer aux soins, le plus souvent pour des raisons financières», souligne l'auteur.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir «Comme le montre l’étude que nous venons de terminer à Montréal, les femmes migrantes (et leur famille) sans assurance publique de santé doivent souvent renoncer aux soins, le plus souvent pour des raisons financières», souligne l'auteur.

La conférence en santé mondiale qui était organisée en ce mois d’octobre à Ottawa a permis de mettre en exergue un des paradoxes de l’État canadien.

D’une part, un soutien marqué à des projets communautaires dans des pays africains promouvant la participation des femmes et des jeunes filles dans le domaine de la santé. À l’opposé, l’exclusion de femmes migrantes et de leur famille, qui résident au Canada, de toute couverture médicale publique (fédérale et provinciale) pour celles qui n’ont pas le statut migratoire légal adéquat.

Les projets de recherche financés par les institutions canadiennes, comme Affaires mondiales Canada et le Centre de recherche pour le développement, qui sont destinés aux pays latino-américains, africains et asiatiques, concernent notamment le domaine de la santé maternelle et infantile. Ces projets ont pour objectifs de permettre aux femmes de développer et d’intégrer des réseaux d’entraide, d’être mieux informées sur des problématiques médico-sanitaires, et poussent à leur participation dans la planification des soins. Des projets très pertinents à n’en pas douter. L’amélioration de la visibilité et de la participation citoyenne des femmes est globalement souhaitable. Le pouvoir de l’État visant à renforcer la justice sociale et à réduire les inégalités sociales, de genre notamment, repose sur des valeurs progressistes et très légitimes.

Cependant, qu’en est-il des femmes migrantes résidant au Québec qui ne sont admissibles à aucune assurance publique de santé (ni fédérale ni provinciale), une situation qui représente une barrière importante à l’accès aux soins de santé ? C’est le cas de celles qui ne sont ni citoyennes canadiennes ni résidentes permanentes et qui n’ont pas le bon visa ou le bon permis de travail (ou alors ceux-ci sont expirés) ou qui ne possèdent pas la bonne nationalité. Comme le montre l’étude que nous venons de terminer à Montréal, les femmes migrantes (et leur famille) sans assurance publique de santé doivent souvent renoncer aux soins, le plus souvent pour des raisons financières, parfois par crainte que cela puisse nuire à leur situation.

Exclusion

 

Certaines ne font pas appel aux services, se rendent invisibles (par crainte de se voir dénoncer aux autorités), peuvent vivre des conditions de travail précaires, ne participent pas à la vie citoyenne et encore moins à la planification de soins desquels elles sont de toute façon exclues. Tout le contraire de ce que ce même État canadien promeut, à juste titre, dans d’autres régions du monde. Pour celles qui demandent des soins, les factures émises par les hôpitaux au Québec peuvent être deux fois plus élevées que pour une personne possédant la carte d’assurance maladie de la RAMQ.

Une situation injuste, angoissante, et une recette pour voir filer ces personnes et leur famille dans la pauvreté et la clandestinité. Alors que le système de santé canadien a justement été mis en place pour éviter la précarisation en cas de maladie et que la Charte des droits et libertés promulgue un droit à la vie et à la dignité. Cependant, l’État détient un pouvoir discriminatoire : certaines ont droit à la vie, dans le sens où elles ont accès à des ressources et à des possibilités qui le leur permettent, d’autres moins, voire, au pire, pas du tout. Ainsi, l’État canadien (et québécois) se donne le droit de laisser souffrir et, potentiellement, de laisser mourir des personnes ici (en laissant s’aggraver des maladies) parce qu’elles ne bénéficient pas d’un statut migratoire qui pourrait leur permettre d’avoir accès aux soins de santé et de vivre dans de bonnes conditions.

Notre étude indique également que la moitié des migrants sans assurance médicale au Québec ne se perçoivent pas en bonne santé. Une proportion beaucoup plus élevée que dans les estimations d’autres études sur la santé de la population canadienne (citoyens et migrants).

Si l’on veut vraiment garantir et protéger le droit à la vie et à la dignité humaine au Canada et au Québec, il faudrait à tout le moins permettre à tous les résidents d’avoir accès aux soins de santé, et ce, indépendamment de leur statut migratoire. Comme le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme l’a récemment rappelé au Canada. Pour que le système de santé canadien devienne vraiment universel et ne soit plus la source d’exclusions et d’inégalités.

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