L’environnement et la santé dans notre assiette

«Les émissions de GES qui découlent de la production d’un kilogramme de bœuf peuvent représenter jusqu'à 140 fois celles d’un kilogramme de légumineuses», estiment les auteurs.
Photo: Olivier Zuida Le Devoir «Les émissions de GES qui découlent de la production d’un kilogramme de bœuf peuvent représenter jusqu'à 140 fois celles d’un kilogramme de légumineuses», estiment les auteurs.

Au lendemain des élections fédérales, peut-on dire que les promesses politiques ont été cohérentes avec les grands enjeux qui préoccupent véritablement les citoyens et qui touchent leur quotidien, en particulier en matière d’environnement et de santé ? Un nombre croissant d’études scientifiques montrent les liens étroits entre la santé des populations et la pollution, qui serait la cause de près d’un décès sur six dans le monde. De plus, certaines habitudes alimentaires — notamment la surconsommation de viande et de plats prépréparés — ont des répercussions sur l’environnement considérables et trop souvent négligées.

Ainsi, l’alimentation et ses conséquences furent pratiquement ignorées par les chefs de partis, plus soucieux de démagogie électorale que de mesures répondant en substance aux véritables enjeux, mais qui supposent des changements d’habitudes que les électeurs semblent peu enclins à consentir. Pourtant, à l’échelle mondiale, près de 30 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) proviennent de la production alimentaire (dont plus de la moitié du bétail), environ 30 % des aliments sont gaspillés (près de 60 % au Canada), plus de la moitié des terres agricoles sont affectées par la dégradation des sols et 60 % des écosystèmes marins sont exploités de façon non durable.

En août dernier, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publiait un rapport soulignant la nécessité de réduire de façon radicale la consommation de viande, de diversifier les apports protéiques en augmentant la consommation de protéines végétales, d’utiliser de façon plus soutenable les terres agricoles et d’assurer la sécurité alimentaire de la population mondiale, qui pourrait atteindre 10 milliards d’individus d’ici 2050.

À titre d’exemple, les émissions de GES qui découlent de la production d’un kilogramme de boeuf peuvent représenter jusqu’à 140 fois celles d’un kilogramme de légumineuses ! Les changements dans les habitudes alimentaires sont d’autant plus indispensables qu’ils reposent, pour l’essentiel, sur des gestes simples et à la portée de la plupart d’entre nous. Ainsi, une étude ayant mobilisé plus de 200 chercheurs et visant à trouver les 100 solutions les plus efficaces et les plus pratiques pour lutter contre les changements climatiques a montré le rôle central de l’alimentation, qui représente plus de 30 % des progrès nécessaires pour réduire la concentration de GES à l’échelle mondiale.

De plus, les solutions citées (réduction du gaspillage alimentaire, diminution de la consommation de viande, augmentation des protéines d’origine végétale, etc.) sont beaucoup moins coûteuses à promouvoir par les gouvernements que les mesures plus traditionnelles (mais néanmoins nécessaires) en matière de transport ou de production d’énergie. Outre ses bénéfices environnementaux évidents, la promotion des régimes alimentaires flexitariens contribuerait également à améliorer la santé des populations.

Des millions de décès évitables

 

Selon une vaste étude sur les habitudes alimentaires menée dans 195 pays, près d’un décès sur cinq dans le monde (environ 11 millions par année) pourrait être évité grâce à une meilleure alimentation, en augmentant l’apport en fruits, en légumes et en légumineuses, et en réduisant la surconsommation de viande, de sel et de sucre. Les bénéfices pour la santé et pour l’environnement d’une meilleure alimentation sont au coeur du concept d’alimentation durable, qui vise à promouvoir la consommation d’aliments sains, équitables, abordables et ayant une faible empreinte écologique.

Malgré les nombreux avantages de la démarche, les programmes pour favoriser l’alimentation durable restent encore très timides. Citons, à titre d’exemple, le « lundi vert » (sans viande) dans les cafétérias scolaires lancé par la Ville de New York et repris par d’autres villes dans le monde. Cependant, ces initiatives demeurent trop sporadiques, en raison notamment du mutisme des pouvoirs publics et des pressions exercées par les puissants lobbys de l’industrie agroalimentaire. Ces pressions ne sont pas étrangères aux nombreuses critiques à l’encontre de la refonte du Guide alimentaire canadien, présentée en janvier dernier, et qui recommande notamment l’augmentation de la consommation de protéines végétales ainsi que la diminution des aliments ultratransformés. Elles expliquent peut-être aussi l’absence d’engagement substantiel pour l’alimentation durable de la part du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, qui dispose pourtant de plus de 50 % du budget du gouvernement provincial (contre environ 0,25 % pour l’Environnement et la Lutte contre les changements climatiques).

Il est malheureux de constater que la santé des populations et celle de la planète dans son ensemble semblent largement subordonnées à des intérêts économiques de courte vue, avec l’assentiment complice des pouvoirs publics qui se limitent à des promesses vite oubliées après les élections et à des actions superficielles qui ne perturbent pas l’ordre établi. Avec les solutions à portée de main et à faible coût, nous appelons les gouvernements à se soucier davantage des répercussions de l’alimentation sur l’environnement et la santé des populations et à mettre en place une réelle politique d’alimentation durable.

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