Moraliser le mouvement écologique ne sauvera pas le monde

«Il est plus facile de rire d’un environnementaliste surpris avec une bouteille en plastique que de pointer les décideurs industriels qui ont planifié le tout-jetable», souligne l'auteur.
Photo: Graham Hughes La Presse canadienne «Il est plus facile de rire d’un environnementaliste surpris avec une bouteille en plastique que de pointer les décideurs industriels qui ont planifié le tout-jetable», souligne l'auteur.

Dans le sillage de la grande marche pour l’environnement du 27 septembre, plusieurs sympathisants ont pris la peine de dénoncer les habitudes des Québécois et les contradictions des manifestants (arbustes piétinés, repas dans un fast-food…). Plutôt que de faire oeuvre utile, cette approche entraîne deux effets pervers. Dans l’immédiat, elle alimente les détracteurs du mouvement écologiste qui guettent les faux pas des militants pour les délégitimer. Socialement, elle perpétue la croyance selon laquelle les problèmes environnementaux sont imputables à la faiblesse de la volonté, comme si la lutte climatique se jouait dans la sphère de la morale. Chaque geste compte, charité bien ordonnée commence par soi-même… Ces raisonnements, reposant sur une responsabilité individuelle étroite, ont deux angles morts : ils négligent la difficulté d’effectuer des choix moraux ayant un faible impact carbone et surestiment le pouvoir des consommateurs.

Des contradictions d’hier, aujourd’hui subies

Il est plus facile de rire d’un environnementaliste surpris avec une bouteille en plastique que de pointer les décideurs industriels qui ont planifié, organisé et distribué le tout-jetable. De même, notre forte consommation de pétrole est un alibi pour souligner notre hypocrisie collective et pour justifier la construction d’oléoducs. Avons-nous toutefois réfléchi aux causes profondes de notre dépendance ?

Quelque 325 millions de barils de pétrole transiteront chaque année par Trans Mountain, contre 109 actuellement. Les méthodes qui seront utilisées pour rentabiliser les investissements, en assurant des débouchés aux hydrocarbures, ont de quoi nous inquiéter. Cette logique n’est pas nouvelle et est au coeur de l’industrialisation. Contrairement à la manufacture d’épingles d’Adam Smith qui nécessitait peu de moyens techniques, les industries apparues au XIXe siècle concentraient beaucoup de capitaux et d’attentes financières à combler. Par sa lourdeur, ce système est vulnérable lorsque la consommation ne suit pas la production. La crise de 1929, causée notamment par la surproduction, a amené les industries à garantir des débouchés stables et constants aux produits, parfois en sacrifiant le bien commun.

Comme l’Europe, l’Amérique du Nord aurait pu être couverte de trains et de tramways. La trajectoire a été déviée lorsque GM, Firestone et Standard Oil ont acheté puis démantelé la vaste majorité des réseaux de tramways nord-américains, leur assurant d’écouler pneus, pétrole et voitures. Complices du transfert modal vers l’automobile, les autorités publiques ont amorcé de grands chantiers autoroutiers. À petite échelle, les banlieues québécoises, dépendantes des revenus fonciers, ont incité les entreprises à étaler leurs activités sur leurs territoires, en leur promettant des coûts moins élevés.

Nous expliquons généralement le consumérisme à travers notre faiblesse psychologique face à la publicité, mais nous devons reconnaître que la consommation est souvent subie, plutôt que choisie. Considérez la dépendance à la voiture : en 2019, l’immobilier et les emplois sont dispersés sur plus de 30 000 kilomètres de routes.

Nous pouvons espérer quelques gains marginaux en adoptant la simplicité volontaire ou le zéro déchet. Nous risquons toutefois de culpabiliser les gagne-petit, en ayant un impact minime sur des pratiques industrielles toxiques, sans mentionner les marchés de luxe (jets privés, yachts) que notre pouvoir d’achat ne permet même pas de boycotter.

Cette consommation est insoutenable et nous devons comprendre qu’elle est engagée dans le sentier de la dépendance (path dependence). Nos infrastructures routières en fin de vie accaparent 70 % du budget des transports. Ces sommes représentent un coût d’opportunité en consolidant la dépendance aux hydrocarbures au lieu de financer les infrastructures résilientes. Ces fardeaux se transmettent dorénavant aux nouvelles générations complexées. Prendre l’avion ou avoir des enfants est souvent associé à une faute, tandis que ces actions étaient récemment synonymes d’épanouissement.

Responsabilité individuelle et action collective

 

Les choix individuels de consommation ont leur importance, mais ils ne doivent pas devenir une distraction. La remédiation aux problèmes climatiques est mieux servie par son institutionnalisation et par les actions collectives. Dans les années 1960, les grands projets immobiliers et autoroutiers ont détruit 30 000 logements montréalais et chassé 100 000 citoyens. Depuis, la société civile a progressé et s’est dotée d’instruments comme le BAPE qui ont contribué à bloquer les gaz de schiste et la centrale du Suroît. Sans être parfaits, ces instruments sont perfectibles et contraignent les décideurs. On voit ici que la question « comment s’organiser » est la réponse à « que dois-je faire individuellement ? ».

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