Les commissions scolaires ne sont pas abolies, elles changent de nom

Avant même d’être élue, la CAQ annonçait son projet d’« abolir les commissions scolaires ». Ce n’est pas ce que fait le projet de loi 40 : il change simplement leur nom en « centres de services ». Or ce sont ce qu’elles sont déjà, comme le montre l’actuelle Loi sur l’instruction publique (LIP) : « La commission scolaire a pour mission d’organiser les services éducatifs au bénéfice des personnes relevant de sa compétence […] » Malgré certains changements significatifs, la LIP va continuer de s’appliquer aux centres de services.
Le véritable et substantiel changement est ailleurs. Le projet de loi change la gouvernance des commissions scolaires. Il établit un lien organique entre les parents et les centres de services. En effet, dorénavant, la moitié des 16 administrateurs seront des parents membres des conseils d’établissement. Ces administrateurs, du côté francophone, seraient au surplus élus par un collège électoral formé des parents et des élèves des centres de formation professionnelle membres de ces mêmes conseils. Ce collège élirait encore quatre autres administrateurs à titre de membres de la communauté. Les quatre autres seraient des représentants du personnel désignés par leurs pairs.
Ce rôle prépondérant accordé aux parents tire son origine d’une recommandation de la commission Parent en 1966. Elle proposait de faire élire les commissaires par les parents membres des comités d’école qu’elle recommandait aussi de créer. Constatant le « peu d’intérêt » que les élections scolaires avaient suscité jusque-là, elle écrivait : « Cette solution se légitime d’abord parce qu’elle accorde le droit de vote aux parents, premiers intéressés à l’éducation, ensuite parce qu’elle évite l’organisation lourde et souvent inutilement coûteuse d’élections dans l’ensemble de la population ; enfin, parce qu’on peut espérer susciter ainsi plus d’intérêt pour des élections scolaires. »
Sur le plan des principes, le droit international fait des parents les premiers responsables de l’éducation de leurs enfants. C’est la reconnaissance de ce droit qui a entraîné progressivement, depuis les années 1970, la mise en place successive des comités d’école, des conseils d’orientation et des conseils d’établissement. À chaque étape, nos lois leur ont accordé une place plus importante dans la gouvernance des écoles, en passant d’un rôle consultatif à la participation active aux décisions. Le projet de loi 40 fait un pas de plus en confiant aux parents le choix de 12 des 16 administrateurs des centres de services et en leur accordant la moitié des sièges du conseil d’administration.
L’exception anglophone
Pour les commissions scolaires anglophones, la composition des conseils d’administration serait pour l’essentiel la même, si ce n’est que les parents pourraient occuper jusqu’à 17 sièges. Cette disposition s’explique sans doute du fait que, hors de Montréal, les territoires des commissions scolaires sont très grands.
La différence est ailleurs : les administrateurs parents et ceux représentant la communauté seraient élus au suffrage universel des citoyens qui auraient fait le choix de s’inscrire sur la liste électorale.
Cette mesure, dit-on, vise à éviter les contestations judiciaires fondées sur les droits linguistiques conférés aux minorités par la Charte canadienne des droits et libertés. On ne s’explique pas cette crainte. Le célèbre jugement de la Cour suprême de 1990, dans l’affaire Mahé, a statué ce qui suit :
« Lorsque le nombre le justifie, l’art. 23 confère aux parents appartenant à la minorité linguistique un droit de gestion et de contrôle à l’égard des établissements d’enseignement où leurs enfants se font instruire. Cette gestion et ce contrôle sont vitaux pour assurer l’épanouissement de leur langue et de leur culture. […]. Le degré de gestion et de contrôle exigé par l’art. 23 peut, dans certaines circonstances et selon le nombre d’élèves en question, justifier l’existence d’un conseil scolaire indépendant. »
Remarquons que c’est aux parents qu’est reconnu constitutionnellement un droit de gestion. En appliquant aux centres de services anglophones le même régime électoral et de gouvernance qu’aux centres francophones, on respecterait certainement les exigences du jugement Mahé. En effet, les parents électeurs membres des conseils d’établissement sont tous des « ayants droit » au sens de la loi 101 et de la Loi constitutionnelle de 1982. C’est le cas aussi des 17 parents administrateurs puisqu’ils sont aussi membres des conseils d’établissement. C’est encore le cas des quatre représentants de la communauté, puisqu’ils seraient aussi élus par ces mêmes parents. Enfin, les quatre représentants du personnel oeuvrent déjà au sein des établissements anglophones.
Le régime asymétrique du projet de loi comporte un inconvénient politique majeur. Il existe un courant d’opinion important, quoique minoritaire comme le révèlent les sondages, qui tient au suffrage universel. Le régime particulier fait aux anglophones apparaîtra sans conteste un privilège inacceptable. Il se pourrait même qu’il soit contestable sur le plan juridique puisqu’il crée une inégalité selon la langue. Le gouvernement a-t-il mesuré ce risque ?