Aide médicale à mourir: des motifs sérieux d’en appeler

Nombreux sont ceux qui se sont empressés d’applaudir le jugement ayant donné raison à Nicole Gladu et Jean Truchon. Avec courage et dignité, ils ont su convaincre que l’aide médicale à mourir devrait être ouverte aux personnes qui ne sont pas en « fin de vie » ou dont la mort n’est pas « raisonnablement prévisible ». La Cour supérieure a déclaré inconstitutionnelles ces dispositions de la Loi sur les soins de fin de vie et du Code criminel. Mme Gladu et M. Truchon ont très bien défendu la légitimité de leurs demandes personnelles. Je pèserai donc mes mots en affirmant qu’il existe de sérieux motifs d’en appeler de ce jugement, lesquels dépassent largement leur cas individuel.
Dans l’arrêt Carter, la Cour suprême a jugé inconstitutionnels les articles du Code criminel qui empêchaient l’aide au suicide. Ceux-ci étaient contraires aux droits à la vie, à l’autonomie et à la sécurité dans la mesure où ils interdisaient l’aide à mourir aux adultes affectés de problèmes de santé graves et irrémédiables leur causant des souffrances persistantes et intolérables.
Certains en ont conclu que la Cour avait reconnu un « droit de mourir » dans la dignité. C’est faux. Les juges ont affirmé clairement que le droit à la vie ne protège pas un « droit de choisir de s’enlever la vie » ou un « droit de mourir dans la dignité ». Dans la foulée du droit international suivant la Deuxième Guerre mondiale, le droit à la vie protège les personnes contre toute action de l’État provoquant un risque accru de mort ou exposant à ce risque.
L’interdiction de toute aide au suicide allait toutefois trop loin. L’importance de protéger la vie ne fait pas en sorte qu’il soit toujours impossible de renoncer au droit à la vie en choisissant une aide à mourir.
Bref, le droit à la vie ne protège pas un droit à la mort de la même manière que la liberté de religion protège la liberté de ne pas croire et d’être athée.
La juge Baudouin ne mentionne pas cette conclusion de Carter. Alors qu’on lui demandait si cet arrêt a créé un droit constitutionnel à l’aide médicale à mourir, la juge a évité de répondre.
Nuance fondamentale
Cette nuance est pourtant fondamentale. Une loi encadrant l’aide médicale à mourir ne peut pas « priver » une personne d’un supposé droit fondamental de mourir.
Mme Gladu et M. Truchon ont démontré que leurs droits étaient limités. Ils ont invoqué le droit à la vie, l’autonomie et la sécurité de la personne, ainsi que le droit à l’égalité, garantis par les articles 7 et 15 de la Charte canadienne.
Or, les droits et libertés ne sont pas sans limites. Selon l’article 1 de la Charte, ils peuvent être l’objet de limites « raisonnables ». Ce qui importe de déterminer, c’est s’il existe de bonnes raisons de les limiter qui soient justifiées dans notre « société libre et démocratique ».
La juge Baudouin a reconnu que protéger les personnes vulnérables est un objectif légitime poursuivi en limitant l’aide à mourir aux personnes se trouvant déjà sur une trajectoire menant vers la mort. Il a été mis en preuve que les autochtones, les vétérans et les personnes handicapées sont plus vulnérables au suicide. Des données étrangères indiquent que les femmes demanderaient davantage une aide à mourir. Les études manquent au Canada.
Malgré tout, la juge est en désaccord avec Ottawa et Québec sur l’application d’un principe de précaution pour minimiser les risques. Elle est d’avis que les Parlements devaient s’en tenir à limiter de manière strictement « minimale » la liberté de recourir à l’aide à mourir, même si la protection des plus vulnérables est en jeu. La faiblesse des motifs de la juge se situe à ce niveau. Elle devait déterminer si le parlement a adopté une mesure raisonnable, et non une mesure parfaite (Alberta c Hutterian Brethren of Wilson Colony, [2009] 2 RCS 567). La limitation à la liberté tout comme l’égale valeur de la vie de toutes les personnes doivent être mises dans la balance.
L’arrêt Carter n’impose pas une marche à suivre pour encadrer l’aide à mourir qu’il suffit de copier mot à mot dans une loi. La Cour suprême a lancé un dialogue ouvert avec les législateurs. Elle a conclu qu’il était possible de concevoir un régime protégeant les personnes vulnérables et elle a laissé le soin au Parlement de le concevoir. La Cour suprême enseigne que les tribunaux doivent faire preuve d’une grande déférence envers le Parlement dans un tel cas où une réglementation complexe a été adoptée.
Les juges pourraient tout de même intervenir s’ils concluaient qu’un régime législatif n’est pas compatible avec les valeurs protégées par la Charte canadienne, dont l’autonomie. Or, contrairement à ce que la juge laisse entendre, la valeur éthique et juridique de l’autonomie se distingue de la stricte capacité de formuler un consentement. Une telle analyse manque cruellement au jugement rendu.