Alimentation: une occasion pour mieux échanger sur le véganisme

La station de métro Berri-UQAM est tapissée d’affiches de la campagne BeFairBeVegan.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir La station de métro Berri-UQAM est tapissée d’affiches de la campagne BeFairBeVegan.

Quiconque sillonne la station de métro Berri-UQAM ne peut ignorer les nombreuses affiches de la présente campagne BeFairBeVegan. Le message secoue tout en épargnant aux passants les images chocs et la violence explicite ; on s’en tient au seul regard des animaux, une approche pragmatique prônée par de plus en plus d’activistes.

La campagne ne manquera pas de raviver le débat sur le véganisme. Pour devancer la polarisation que les articles réactionnaires susciteront, j’espère amorcer ici un dialogue constructif grâce à une stratégie simple mais puissante : l’art de la concession. Je crois en effet qu’en concédant certains points qui méritent de l’être, on arrivera à mieux situer l’argumentaire végane tout en favorisant les échanges respectueux avec la majorité non végane.

Oui, la chair est au menu depuis des temps immémoriaux. Si nos ancêtres étaient autrefois herbivores, l’ajout de la viande relève d’une plus grande importance que les millions d’années de broutage qui l’ont précédé, figurant même parmi les déclencheurs de notre croissance encéphalique. Il est tentant de clore la question en concluant que manger de la viande est naturel. Or, le XXIe siècle regorge d’activités humaines allant à l’encontre de ce qu’on pourrait considérer naturel. La philosophie donne justement un nom à cette erreur de logique par laquelle on fonde un jugement normatif à partir d’un état de fait : le paralogisme naturaliste.

Omnivorisme

 

S’il y a quelque chose de naturel pour Homo sapiens, c’est d’évoluer lorsque les circonstances l’exigent. Pourtant disparus, les Néandertaliens quasi carnivores avaient un cerveau un peu plus gros que le nôtre. Si la chair était à ce point primordiale à l’émergence de l’intelligence, pourquoi les carnivores ne règnent-ils pas sur le monde ? Il faut s’y faire, la viande n’est qu’une pièce du casse-tête évolutionnaire.

Oui, l’humain est omnivore. La capacité à ajuster notre régime en fonction de tant d’habitats et de climats a été essentielle à notre essor. Il convient toutefois de préciser que l’omnivorisme ne signifie pas viandes et végétaux en parts égales ; les proportions varient beaucoup d’une espèce à l’autre. Plus de 95 % de l’alimentation du chimpanzé, notre cousin le plus rapproché et lui aussi catégorisé comme omnivore, provient du règne végétal. C’est à peu près le même pourcentage au sein des zones bleues, ces cinq régions où les gens jouissent des meilleures espérances de vie, et ce, en bonne santé.

C’est plutôt la question suivante qui s’impose : notre omnivorisme se traduit-il par une nécessité biologique de consommer de la chair aujourd’hui ? Là, c’est la science de la nutrition qui saura nous éclairer.

Non, un régime végétalien n’est pas de facto bon pour la santé. Les aliments transformés à base de plantes se multiplient. Un régime trop axé sur la malbouffe, végétale ou pas, n’est pas sain. En revanche, s’ils prennent exemple sur le nouveau guide alimentaire canadien, les véganes mangent mieux que la moyenne.

La plus grande association de diététistes au monde affirme qu’une alimentation végétalienne bien planifiée est saine et adéquate sur le plan nutritionnel, même qu’elle protège contre les maladies chroniques les plus communes. Et, oui, elle procure amplement de protéines, tant qu’elle est variée et fournit assez de calories, deux conditions sensées s’appliquant à tout régime sain.

Non, le véganisme n’est pas une panacée environnementale. La complexité de la crise écologique exige une coordination politique d’envergure mondiale. Toujours est-il que nombre d’études, dont le plus récent rapport du GIEC, soulignent l’impact énorme de l’élevage intensif ainsi que le grand potentiel des régimes végétaliens pour l’atténuer. Somme toute, le message est on ne peut plus clair : l’humanité doit manger moins de viande.

Oui, une vie humaine l’emporte sur une vie animale. En situation in extremis où l’on doit sauver l’une ou l’autre, le choix est évident. Ce ne sont pas de tels ultimatums que le quotidien nous lance cependant. L’injustice que les véganes déplorent concerne l’écart aberrant entre, d’un côté, la souffrance incommensurable infligée aux millions d’animaux abattus chaque jour et, de l’autre, le plaisir gustatif qu’on souhaite assouvir.

L’égalité que la campagne BeFairBeVegan veut faire reconnaître fait référence à la capacité indéniable de ces êtres vivants à souffrir. Ainsi sont-ils « différents mais égaux », comme le slogan l’indique. À l’instar du racisme et de l’inégalité des sexes, l’exploitation animale continuera de nous inviter à élargir notre sphère de considération morale pour bien des années à venir. Discutons-en mieux.

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