Pourquoi ne pas apprendre la philosophie dès le primaire?

Le 31 août, Le Devoir publiait un article, sous la plume de Marco Fortier, dans lequel nous apprenions que le ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur du Québec, M. Jean-François Roberge, envisage de mener « un vaste chantier sur la révision du cours d’ECR ». À nos yeux, la mise sur pied de ce chantier constitue une nouvelle importante.
Bien que le ministre Roberge ne semble pas vouloir remettre en question le volet éthique du programme — ce qui nous réjouit et nous rassure, tant l’éducation éthique nous apparaît fondamentale —, nous croyons néanmoins qu’il serait opportun de saisir cette occasion pour réfléchir en profondeur sur l’esprit dans lequel nous souhaitons, comme société, revoir ce programme. À la lecture de cette annonce concernant la réforme envisagée du programme d’ECR, une question nous est rapidement venue en tête : pourquoi ne pas intégrer la philosophie à la grille-matières au primaire et au secondaire ?
La question pourra sembler, aux yeux de certains, farfelue, tant la philosophie semble éloignée des enfants, et parfois même des adolescents. Si nous prenons appui sur la manière dont la philosophie est habituellement enseignée au cégep ou à l’université, nous serions en droit de froncer les sourcils face à une telle proposition ! Cependant, si nous fondons notre conception de la philosophie à l’école sur la base d’une approche pédagogique développée aux États-Unis il y a près de 50 ans, mieux connue sous le nom de « philosophie pour enfants (et adolescents) » (désormais PPEA), cette proposition apparaît non seulement tout à fait légitime, mais très opportune.
Pour le dire simplement, la PPEA vise à engager les élèves dans des réflexions communes, par la pratique du dialogue, autour de questions qui les intéressent et qui sont susceptibles de se rapporter à l’une ou l’autre des dimensions associées à la philosophie comme discipline (logique, esthétique, épistémologique, éthique, métaphysique). Il ne s’agit pas d’enseigner la philosophie, au sens traditionnel du terme, mais de créer des conditions permettant aux élèves de s’engager dans des pratiques philosophiques. Il ne s’agit pas non plus d’un débat, où chacun cherche à convaincre l’autre qu’il a raison, mais d’un dialogue dans lequel tous s’engagent dans un processus de recherche de sens contribuant au développement progressif de la pensée critique, créative et attentive.
La philosophie permet d’aborder des questions essentielles qui contribuent à construire notre identité, comme individu et comme société : Qu’est-ce qui est juste ? Faut-il toujours partager ? Qu’est-ce que l’amitié ? Y a-t-il une différence entre l’amitié et l’amour ? Qu’est-ce qui fait qu’une chose ou une personne est belle ? Suis-je vraiment libre ? Y a-t-il de bonnes raisons d’être en colère ? Comment savoir si c’est vrai ? Etc.
De plus en plus d’études scientifiques tendent à montrer les apports de la PPEA. Parmi ceux-ci, mentionnons des retombées positives sur les perceptions de soi et de l’autre et le vivre-ensemble, ou encore le rapport à l’école et à l’apprentissage, le raisonnement critique et moral et certaines acquisitions dans les domaines des langues et de la mathématique… À cela s’ajoute que la PPEA est considérée par l’UNESCO comme une approche pédagogique permettant notamment la prévention de la violence.
La PPEA s’arrime très bien aux visées et aux éléments de contenu inscrits au programme d’ECR. Nous oserions même dire, comme nous l’avons fait antérieurement (Gagnon, 2012), que le recours à la PPEA en ECR permet de les dépasser. C’est pourquoi d’ailleurs certains enseignants ont misé sur cette approche, depuis 2008, afin de structurer leurs cours d’ECR. Bien plus, dans une logique d’intégration, la PPEA peut très bien s’arrimer à de nombreux thèmes et contenus en éducation à la sexualité. C’est le cas, par exemple, du thème « identité, rôles, stéréotypes sexuels et normes sociales ».
Depuis près de 40 ans, le Québec est considéré comme un chef de file dans le domaine de la PPEA. Alors, pourquoi ne profiterait-il pas de l’expertise développée ici depuis autant d’années pour repenser l’ECR, positionner le Québec sur la scène internationale et même faire un énoncé clair sur la conception que nous avons des élèves, c’est-à-dire des personnes citoyennes à part entière, aptes à penser par et pour elles-mêmes avec les autres, ouvertes, respectueuses des différences et capables d’autodétermination ?
Adolfo Agundez-Rodriguez, professeur associé, UQAM;
Anny Arsenault, enseignante au primaire, Sherbrooke;
Mylène Bouchard, présidente et directrice générale de SEVE formation Canada;
Lynda Champagne, professeure de philosophie au collégial;
Karine Cloutier-St-Amand, Enseignante d’ÉCR au secondaire;
Elisabeth Couture, enseignante en pratique de la philosophie pour adolescents et d’ÉCR au secondaire;
Lisa Desrochers, enseignante d’ÉCR au secondaire
Camille Eisenblaetter, étudiante en philosophie;
Jeannot Fillion, professeur de philosophie, Cegep de Sherbrooke;
Natalie M. Fletcher, fondatrice de Brila et responsable de l’Institut Philosophie, Citoyenneté et Jeunesse à l’Université de Montréal;
Emmanuelle Gruber, professeure de philosophie au Collège Montmorency;
Pierre Lebuis, professeur honoraire, UQAM;
Fanny-Alexandra Guimond, professeure, Université d’Ottawa;
Pierre Laurendeau, auteur en philosophie pour enfants et ex-enseignant de philosophie au collégial;
Fréderic Lenoir, philosophe et sociologue;
Myriam Michaud, doctorante, Université Laval;
Olivier Michaud, professeur, UQAR;
Samuel Nepton, doctorant en philosophie, Université Laval;
Isabelle Néron, enseignante d’ÉCR au secondaire;
David-Anthony Ouellet, professeur de philosophie au collégial;
Céline Roy, formatrice en philosophie pour enfants et adolescents;
Jonathan Smith, professeur, Université de Sherbrooke;
Elaine Turgeon, professeure, département de didactique, UQAM;
Sébastien Yergeau, enseignant de philosophie au secondaire et répondant ÉCR, Commission scolaire des Navigateurs