Enseignement collégial: une formation anémique et orientée

Au moment où les voix de ceux qui plaident pour une meilleure formation disciplinaire des enseignants, à tous niveaux, se font de plus en plus vives, on nous propose dans les pages du Devoir du samedi 7 septembre « une formation pédagogique et didactique » obligatoire pour les enseignants du collégial. On peut voir là une sage demande et un hâtif retour du balancier ; on peut aussi, en l’état des choses, s’en inquiéter.
S’inquiéter d’abord des poncifs véhiculés — cette « relativité des savoirs scolaires à l’ère 2.0 », par exemple, alors que les savoirs disciplinaires sont fondés, réfléchis, assis sur une méthode que le 2.0 n’annule ni ne dépasse. L’Internet n’a rien changé aux règles de la grammaire, et s’il a rendu plus aisée la recherche, il n’a pas modifié les fondements scientifiques et rigoureux de la méthode de l’historien.
S’inquiéter ensuite de la violente critique des « méthodes d’enseignement traditionnelles », qu’on oppose à l’enseignement « de qualité », bien évidemment « adapt[é] au contexte éducatif contemporain ». On n’a jamais établi hors de tout doute raisonnable la pertinence des méthodes « contemporaines » ni la culpabilité de l’enseignement « traditionnel ». Les données probantes conduisent pourtant à articuler une vision plus nuancée.
Mais là justement est le problème : il n’y a bien souvent aucune place pour la nuance dans les facultés d’éducation. L’étudiant qui s’inscrirait en enseignement collégial à l’Université Laval chercherait en vain les « espaces de réflexion et de discussion » que vante pourtant l’auteure. Ou plutôt, il trouverait ces espaces bien étroits et par trop circulaires : en dix cours, pas un mot sur l’enseignement magistral ou explicite, qui place le maître au centre de la relation d’apprentissage. Ou plutôt, si, un : donné presque sous le manteau par un professeur invité, explicitement présenté comme « dissident ». Seules règnent les compétences, la « coconstruction » des savoirs, la pédagogie participative… Hors du socioconstructivisme, point de salut. Or, les savoirs complexes étudiés au cégep ne méritent-ils pas une transmission verticale, argumentée, qui permet à l’élève de se les approprier et de les maîtriser avant de les mettre en pratique ?
Hégémonie
Il faut impérativement contester une hégémonie facultaire qui n’apporte rien de bon au futur enseignant ni à ses futurs élèves. La méthode socioconstructiviste est valide en contexte, dans certaines situations, pour certains enseignants, avec certains élèves. Elle ne saurait tout englober. Renée Goupil invite les futurs enseignants, par la formation pédagogique et didactique, « à poser un regard critique sur les modèles d’enseignement dominants ». Soyons clairs : rien n’est plus étranger à la formation pédagogique actuelle. Cette formation, contre toute logique, permet au modèle effectivement dominant dans ces mêmes facultés — le socioconstructivisme — de s’en tirer sans la moindre critique, ou pire : sans la moindre réflexion. D’où d’incessants tiraillements entre maîtres de stage et enseignants-associés d’un côté, et professeurs de la faculté de l’autre ; d’où l’exaspération des premiers qui, lorsqu’ils ne se retirent tout simplement pas, regimbent et montrent bien qu’ils ne croient pas en ce qu’on nous dit en plus haut lieu ; d’où le tiraillement inconfortable du futur enseignant, pris entre deux feux, et qui constate la fracture entre ce qu’on lui apprend et ce qui se pratique, et ne peut qu’en conclure de l’inanité de ce qu’on lui enseigne.
On nous présente l’approche socioconstructiviste comme une « fin de la pédagogie », ultime acquis d’une méthode et d’une vision qui prétendent aujourd’hui se confondre avec la science dont elles sont issues. Cette pédagogie, dont on nous rabâche qu’elle est éternelle remise en question, pratique réflexive, adaptation constante aux réalités du monde, on nous l’enseigne comme seule et unique. De cette prétention hégémonique, il ne peut rien sortir de bon.