Une longue tradition de syndicalisme à Montréal

Pour bon nombre d’entre nous, la fête du Travail marque la fin de l’été et le début d’une nouvelle année scolaire. Les jours raccourcissent, le temps se rafraîchit.
En 1894, la fête du Travail est instaurée au Canada afin de célébrer les travailleuses et les travailleurs de même que le syndicalisme. De nos jours, nous n’entendons plus beaucoup parler de cette intention.
C’est dommage, car Montréal a un long passé en matière de syndicalisme et de conflits de travail. Ainsi, en 1843, un millier d’ouvriers affectés à l’agrandissement du canal de Lachine font la grève. Outre une augmentation de salaire, ils veulent être désormais payés en espèces plutôt que sous la forme de bons encaissables uniquement dans le magasin d’un associé de leur employeur.
À la fin du XIXe siècle, les discussions sur le socialisme font rage à Montréal. À ce sujet, l’historien Ian McKay souligne la fondation de la Ligue socialiste canadienne — le premier mouvement socialiste né dans notre pays — à Pointe-Saint-Charles au cours de l’été 1898.
Il y a aussi des vagues de grèves. Par exemple, en 1903, l’arrêt de travail des débardeurs du port de Montréal se transforme au bout de six semaines en un semblant de guerre civile — à un point tel que les autorités déploient des troupes de l’armée régulière dans la ville. La même année, les travailleurs de la Montreal Tramway déclenchent une grève. Quand l’entreprise recourt à des travailleurs de remplacement, des barricades se dressent dans certains quartiers.
Au début du XXe siècle, les ouvriers qualifiés des ateliers ferroviaires du Grand Trunk — situés dans le Sud-Ouest montréalais — forment un important bassin de politique gauchiste. Ainsi, en octobre 1917, ils télégraphient un message de solidarité aux révolutionnaires russes. Le télégramme se lit comme suit : « Conservez vos acquis ; exigez davantage. »
Pour les travailleurs de l’industrie et leurs syndicats, les années 1930 se révèlent particulièrement pénibles. Compressions salariales à répétition et chômage généralisé poussent à bout les familles ouvrières. Au Québec, le gouvernement que dirige Maurice Duplessis combat férocement les syndicats. Avec l’entrée en vigueur de la « loi du cadenas », une mesure anticommuniste, il devient dangereux pour les militants d’exercer des activités syndicales dans une résidence privée. Les communications par courrier ne sont plus sûres. À preuve, les dirigeants des Travailleurs unis de l’électricité ordonnent à leurs organisateurs québécois d’expédier sous pli neutre toute information destinée aux syndiqués, et ce, pour écarter les soupçons.
Essor du syndicalisme
Le mouvement syndical connaît un formidable essor durant la Seconde Guerre mondiale. À Montréal, le nombre de syndiqués passe ainsi de 35 000 en 1939 à 176 000 en 1945. La plupart des ouvriers qui se syndiquent travaillent pour des usines d’armement, un secteur d’activité qui relève du gouvernement fédéral. Les syndicats se font donc reconnaître par celui-ci et se soustraient dès lors à l’autorité de Duplessis. Dans plusieurs établissements, les militants doivent toutefois lutter contre un « syndicat jaune », c’est-à-dire à la solde de l’employeur.
Peu à peu, des syndicats autonomes se forment. Mais avec le déclenchement de la guerre froide, seuls certains regroupements sont jugés acceptables. Ce n’est certainement pas le cas des Travailleurs unis de l’électricité, d’allégeance gauchiste. En 1952, à la gigantesque usine qu’exploite la RCA dans le quartier de Saint-Henri et qu’ont syndiquée pendant la guerre Léa Roback et d’autres militants, les membres du bureau syndical sont tous renvoyés. Selon les Travailleurs unis de l’électricité, « le lendemain matin, des autopatrouilles de la police montréalaise encerclent l’établissement. À l’intérieur, des agents de sécurité de l’entreprise et leurs renforts effectuent des rondes dans tous les services ». Quelques mois plus tard, les Travailleurs unis de l’électricité sont bannis du Québec — événement qui n’est pas sans rappeler le maccarthysme qui sévit aux États-Unis pendant la guerre froide. Le chef de la section canadienne des Travailleurs unis de l’électricité trouve la conjoncture québécoise encore plus déplorable. Ainsi, il écrit : « À présent, en ce qui concerne les questions liées au travail, la situation au Québec se révèle aussi mauvaise, sinon pire, que tout ce que l’on a pu constater dans le “Sud profond” américain. »
Néanmoins, les syndicats mènent leur combat et luttent pour la fixation d’un salaire minimum vital, l’établissement de régimes de retraite et l’adoption de mesures favorisant la sécurité d’emploi.
À Montréal, l’ère de la syndicalisation est relativement courte. Au cours des années 1960 et 1970, les usines et manufactures y ferment en grand nombre. Vers 1985, seules quelques entreprises maintiennent leurs activités le long du canal de Lachine — point de départ de la révolution industrielle au Canada. Toutes sortes de motifs sont invoquées pour justifier ces fermetures. Attirés par de meilleures conditions, certains établissements déménagent en banlieue ou dans une province voisine. D’autres, alléchés par des taux de salaire inférieurs, vont s’établir au Mexique ou en Asie.
Enfin, l’abaissement des barrières commerciales accentue la tendance. En effet, les détenteurs de capitaux peuvent désormais investir là où les profits sont les plus juteux. L’adhésion de Justin Trudeau au Partenariat transpacifique s’inscrit dans cette longue suite d’événements dont les travailleuses et les travailleurs canadiens subissent encore aujourd’hui les conséquences.