Crise des médias: pour un journal régional

«Comme d’autres sociétés, notre région subit de diverses façons le tsunami numérique et tente avec ses moyens limités de s’adapter», souligne l'auteur.
Photo: Paul Chiasson La Presse canadienne «Comme d’autres sociétés, notre région subit de diverses façons le tsunami numérique et tente avec ses moyens limités de s’adapter», souligne l'auteur.

La crise qui frappe de plein fouet le Groupe Capitales Médias démontre éloquemment que, pour survivre, les journaux régionaux, individuellement ou collectivement, devront trouver un modèle d’affaires solide, stable et créatif.

La principale cause des déboires, on le répète abondamment, vient de la migration des revenus publicitaires vers les plateformes des géants numériques, surtout des GAFA, qui vampirisent le contenu sans en assumer le moindre coût. Il en résulte une dislocation fatale pour les journaux entre la production d’information, la création de valeur et les revenus.

Les appels du pied pointent en direction de déductions fiscales (salaires, dépenses numériques, abonnements), de fonds d’aide aux médias, de philanthropie, de nouveaux modèles d’affaires, dont le mode coopératif. Mais à ce jour, aucune simulation n’a démontré la portée déterminante et pérenne de ces mesures sur la rentabilité de chacun ou de l’ensemble des journaux de GCM ou toute nouvelle publication. C’est inquiétant !

Une piste cruciale et féconde de financement demeure selon moi inexploitée, en raison malheureusement de la passivité des acteurs régionaux et du conformisme du milieu de l’information. C’est celle de la société civile. Cette société civile est constituée de dizaines, voire de centaines d’organismes du milieu, des secteurs publics, parapublics, entreprises, sociétés, coopératives, groupes, syndicats, finances, etc. Cette société civile, avec ses ressources encore importantes, produit, anime et alimente largement l’écosystème collectif, et depuis toujours est le théâtre même de l’actualité régionale dans toutes les facettes de sa diversité.

Comme d’autres sociétés, notre région subit de diverses façons le tsunami numérique et tente avec ses moyens limités de s’adapter. Conséquemment, les nombreux acteurs de la société civile régionale (pas uniquement les commerces) mettent beaucoup d’argent dans ces nouvelles plateformes, dont Facebook ou d’autres éditeurs de contenus. Il est impossible, à l’échelon régional, de mesurer l’ampleur des sommes investies par la société civile. J’avance sans crainte de me tromper les six chiffres, et même les sept chiffres si on inclut toutes les ressources mobilisées et les salaires affectés à la cueillette, à l’ordonnancement, à la production et à la diffusion d’informations destinées à diverses clientèles, y compris le grand public. Ce faisant, disons les choses comme elles sont, ils deviennent des agents de détournement du marché médiatique régional, contribuent à son déclin et provoquent l’affaiblissement et la dilution de la couverture du milieu. Un cercle vicieux qui en plus accentue l’exode du capital financier en dehors de la région.

Information commanditée

 

Sans exclure les formes d’aide énumérées plus haut, je suggère l’ajout au modèle d’affaires d’une troisième catégorie de contenu, l’information commanditée, indépendante évidemment des deux autres (rédaction et publicité commerciale). Le magazine L’actualité et Le Devoir exploitent à divers degrés ce créneau. Il ne s’agit pas d’imiter aveuglément les plateformes comme Facebook qui accueillent abondamment et sans restriction divers types de contenu commandité et rejoignent massivement une clientèle d’abord individuelle ciblée par les algorithmes. Il s’agit au contraire de régionaliser en les rassemblant sur un support médiatique à portée territoriale l’information journalistique (les journalistes), le contenu sociétal (la société civile) et la publicité commerciale (les commerces).

Bien sûr, le modèle doit ériger des cloisons étanches entre les catégories de contenu, adopter une charte déontologique rédactionnelle couvrant les trois catégories, présenter un graphisme distinguant clairement les catégories, proposer à la société civile une tarification attrayante et souple, rendre accessibles en permanence les contenus et les statistiques liées à l’édition commanditée, etc.

J’en appelle aux acteurs de la société civile. S’ils croient nécessaire un journal régional qui reflète nos intérêts communs et soit le creuset de notre collectivité régionale, il y a là un devoir de solidarité et d’engagement.

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