Desjardins, saisir le mouvement

Depuis quelques semaines, une inquiétude est apparue au front des membres et des clients de Desjardins ; un vol majeur dans une institution financière fait toujours la une, qui plus est, un vol d’identité. Mais, on l’aura compris, il ne servirait à rien de quitter Desjardins pour confier ses avoirs et affaires à une autre institution financière. Le vol d’identité aurait pu et malheureusement pourrait aussi arriver chez l’un de ses concurrents. Devant la menace, les réactions des gestionnaires de Desjardins furent immédiates, appropriées, exécutées avec compétence et transparence. Mais beaucoup reste à accomplir à court terme pour comprendre, expliquer, compenser et corriger.
Oui, la situation est grave, mais il n’y a pas péril en la demeure. Maintenant que des mesures de protection ont été mises en place, la direction de Desjardins devrait toutefois sans plus tarder, saisir l’occasion pour aller encore plus loin dans la réforme de sa gouvernance.
Desjardins est une institution dite « systémique » au Québec par son importance, notamment avec un actif de 311 milliards de dollars ; une brèche dans sa cuirasse pourrait entraîner des conséquences graves pour notre système économique et financier. Il appartient au gouvernement du Québec de veiller au grain puisque Desjardins est sous sa juridiction. Il est heureux que l’actuel ministre des Finances, M. Eric Girard, soit un gestionnaire expérimenté en matière de réglementation financière.
L’Assemblée nationale doit aussi jouer son rôle pour faire changer les choses. La convocation d’une commission parlementaire portant sur la fuite des données personnelles des membres de Desjardins devrait faire l’unanimité. Il faudra y poser les questions, exiger des réponses mais surtout, examiner les voies à venir. On doit saisir le moment, faire aller plus loin le Mouvement, l’accompagner.
Une remise en question des systèmes de surveillance et de sécurité, des politiques de divulgation, de transparence et d’éthique doit être imposée. Gérer les avoirs d’épargnants, c’est d’abord et avant tout, créer un lien de confiance. Les gestionnaires de Desjardins se doivent de solidifier ce lien. Être financièrement solide ne suffit plus.
Un tel événement n’est pas le premier au Québec : rappelons les effets des rumeurs et accusations issues de la commission Charbonneau en 2014 touchant indirectement le Fonds de solidarité. Des allégations de collusion, de mauvaises réputations faisaient mal, bien plus que les accusations avérées ou non. Ces perceptions négatives auraient pu détruire cette institution financière québécoise.
Dans un geste tout aussi rapide que spectaculaire, les dirigeants du Fonds ont rebâti la confiance par une réforme en profondeur de ses organes décisionnels, notamment son conseil d’administration. Ce fut un coup de maître que de nommer monsieur Robert Parizeau à sa présidence et de lui donner toute l’indépendance nécessaire grâce à un conseil d’administration majoritairement composé de membres indépendants. Les dirigeants de la FTQ ont fait preuve de responsabilité envers les déposants au Fonds. Dès l’annonce de ces mesures, M. Parizeau était aux commandes. L’intendance et les procédures ont suivi. En quatre ans, tout était mis en place dans l’ordre, et la confiance fut maintenue, voire accrue.
Revenons à Desjardins. Rappelons qu’elle est encore la seule grande institution financière canadienne à être dirigée par une seule personne, élue par un collège électoral. M. Guy Cormier en est l’homme-orchestre. Il conduit à la fois : un conseil d’administration de 22 membres, dont seulement 2 sont indépendants (une nouveauté depuis avril 2019), un conseil exécutif formé uniquement de membres non indépendants et un comité de gestion interne. La responsabilité est énorme pour une seule personne et ne favorise pas beaucoup la diversité d’opinion.
La donne a changé depuis le vol massif des renseignements personnels des membres. Plus que jamais, le moment est venu pour une réforme majeure des hautes sphères décisionnelles. Des gestes doivent être posés, ou imposés immédiatement. Un conseil d’administration formé majoritairement de membres indépendants, y compris sa présidence, doit être établi. Puis viendra le véritable travail pour moderniser la gestion, dont celle des risques reliés à sa réputation.
Desjardins peut s’inspirer d’une autre coopérative financière d’importance, VanCity de la Colombie-Britannique. Son CA est formé de 9 membres totalement indépendants de la direction. Cette coopérative est régie par une commission et des règles fixées par le gouvernement provincial.
Un président de conseil apporte ses expériences et celles de ses collègues indépendants, tandis qu’un président exécutif dirige les opérations avec des collaborateurs. Les deux se complètent, s’appuient, et ce, au bénéfice des membres et des clients.
Face au couac du vol massif de données, le Mouvement Desjardins mérite une réaction forte, immédiate, porteuse de changements.
Pourquoi pas un mouvement doté d’une partition à quatre mains ?