Arsenic: la crise dont personne ne veut parler

«La Fonderie Horne (sur la photo) a aussi la vilaine habitude de rejeter légalement jusqu’à 67 fois plus d’arsenic que la norme québécoise», souligne l'auteure.
Photo: Justin Benoît-Bélanger «La Fonderie Horne (sur la photo) a aussi la vilaine habitude de rejeter légalement jusqu’à 67 fois plus d’arsenic que la norme québécoise», souligne l'auteure.

À Rouyn-Noranda, on va voir un spectacle au Théâtre du cuivre, on magasine aux Promenades du cuivre, on voit le médecin à la Clinique médicale du cuivre et on prend un permis de chasse chez Moto Sport du Cuivre. À un pas du lieu de naissance de Richard Desjardins, la dernière fonderie de cuivre du Canada, la Fonderie Horne, domine toujours la ville.

Elle a aussi la vilaine habitude de rejeter légalement jusqu’à 67 fois plus d’arsenic que la norme québécoise. Depuis au moins 2004, le ministère de l’Environnement et la direction de santé publique de la région permettent à la Fonderie Horne d’empoisonner les enfants de ma circonscription, et ce, en toute connaissance de cause.

Vous n’entendrez pas — ou si peu — parler de cette histoire dans les médias nationaux ni de la bouche des autorités responsables, comme si les voies respiratoires des gens de l’Abitibi-Témiscamingue s’étaient adaptées au cuivre ; pourtant, les enfants qui jouent dans l’ombre de la fonderie sont bel et bien faits de chair et d’os. C’est pour eux que je tire la sonnette d’alarme.

En novembre 2004, un groupe de travail du ministère de l’Environnement publie un avis préoccupant : les concentrations d’arsenic dans l’air de Rouyn-Noranda ont atteint une moyenne record de plus de 1000 ng / m3 en 2000, alors que la normale se situe entre 1 et 2 ng / m3. Il recommande d’exiger une diminution drastique des émissions de la fonderie pour que les concentrations soient rapidement ramenées à 10 ng / m3, puis 3 ng / m3.

Commence alors le grand écart des autorités. Ignorant son propre avis, le Ministère délivre une attestation d’assainissement, l’équivalent d’un permis environnemental, fixant la cible de la fonderie à 200 ng / m3 en 2007. En 2011, la norme nationale est fixée à 3 ng / m3. L’année suivante, la fonderie demande le renouvellement de son attestation d’assainissement, mais le Ministère ne se presse pas pour la délivrer. Ce n’est qu’en en 2017, avec 5 ans de retard, qu’une nouvelle cible est fixée… à 100 ng / m3.

L’arsenic est le roi des poisons. Toute exposition prolongée à l’arsenic comporte un risque, notamment celui de développer le cancer du poumon. Plus les victimes sont jeunes, plus elles sont vulnérables. Or, les autorités se fient à une étude de biosurveillance menée au milieu des années 2000, qui mesure l’arsenic dans l’urine. Le roi des poisons n’y est détectable que dans les deux ou trois jours suivant l’exposition, alors que les émissions de la fonderie sont fugitives, donc aléatoires. L’étude conclut que les enfants du quartier n’ont connu aucune surexposition.

En mai dernier, une nouvelle étude est rendue publique dans la confusion, après plusieurs mois de retard. Elle révèle qu’en moyenne, les enfants de Notre-Dame ont une concentration d’arsenic 3,7 plus élevée que celle d’un groupe témoin, à Amos, et qu’elle ne diminue pas lorsque la résidence de l’enfant testé s’éloigne de la fonderie. Cette fois-ci, l’arsenic est testé dans les ongles des enfants. Si le roi des poisons s’évacue par le bout des doigts, c’est parce qu’il leur est déjà passé à travers le corps.

La semaine dernière, la direction de santé publique de l’Abitibi-Témiscamingue affirme n’avoir rien à voir avec la cible de 100 ng / m3 imposée en 2017. Au ministère de l’Environnement, on continue de leur renvoyer la balle. À l’Assemblée nationale, mes questions restent sans réponse ; quand les ministres caquistes passent en région, ils n’abordent même pas le sujet.

L’empoisonnement n’est jamais banal… mais dans ce cas-ci, il est légal.

Dans l’ombre de la Fonderie Horne, la vie continue. Les parents de jeunes enfants suivent les recommandations des autorités, sans vraiment y croire : enlever la poussière métallique par aspirateur, rincer son linge plusieurs fois en essuyant les comptoirs de la cuisine, éviter le bac à sable. D’autres songent à déménager. La fonderie a jusqu’en novembre 2021 pour se conformer à la cible de 2017 : 33 fois la norme québécoise.

La fonderie de cuivre a donné naissance à Rouyn-Noranda. Aujourd’hui, avec la complicité du gouvernement, elle empoisonne ses enfants. À 900 kilomètres de la colline parlementaire, la crise dont personne ne veut parler suit son cours, dans un silence assourdissant.

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