La viande, l’agriculture et la protection de l’environnement

«La production d’un kilo de bœuf produit presque trois fois plus de gaz à effet de serre que celle d’un kilo de porc, quatre fois plus que celle d’un kilo de poulet et près de 30 fois plus que celle d’un kilo de riz», mentionne l'auteur.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir «La production d’un kilo de bœuf produit presque trois fois plus de gaz à effet de serre que celle d’un kilo de porc, quatre fois plus que celle d’un kilo de poulet et près de 30 fois plus que celle d’un kilo de riz», mentionne l'auteur.

Il a beaucoup été question, au cours des derniers jours, des propositions avancées par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (le GIEC) dans son dernier rapport intitulé Changement climatique et terres émergées. Dans ce rapport, le GIEC avance diverses pistes relatives à l’essentielle protection des sols et aux mesures à prendre pour garantir la sécurité alimentaire. Parmi les pistes avancées figurent la lutte contre les inégalités et la diminution du gaspillage alimentaire, mais aussi une évolution des régimes alimentaires : il s’agirait de consommer plus de produits d’origine végétale et moins de produits d’origine animale.

S’appuyant sur ce rapport, Robert Dutrisac, dans son éditorial du 12 août, en appelle avec raison à un virage environnemental de l’agriculture québécoise. À propos des émissions de gaz à effet de serre des animaux d’élevage, il rappelle quelques chiffres : la production d’un kilo de boeuf produit presque trois fois plus de gaz à effet de serre que celle d’un kilo de porc, quatre fois plus que celle d’un kilo de poulet et près de 30 fois plus que celle d’un kilo de riz. Pour de nombreux commentateurs, la solution semble aller de soi : il faut privilégier les viandes dont la production émet moins de gaz à effet de serre (GES). Debra Roberts, coprésidente du Groupe de travail II du GIEC, explique ainsi qu’il faut favoriser les « aliments d’origine animale produits de façon durable dans des systèmes à faibles émissions de gaz à effet de serre ».

Deux problèmes

 

Pourtant, cette assimilation entre « production durable » et production « à faible émission de gaz à effet de serre » pose deux problèmes trop souvent occultés.

Le premier concerne la réduction du « durable » à la seule émission de GES. Faut-il le rappeler : la durabilité associe des dimensions sociales, environnementales et économiques. L’indicateur concernant les émissions de GES est certes un indicateur très important, mais il ne peut être le seul. En fouillant un peu dans la littérature concernant les bilans carbone de diverses activités ou produits, on tombe sur certains résultats qui peuvent paraître surprenants. Ainsi, le bilan carbone d’un porc élevé selon les principes de l’agriculture biologique est plus élevé d’environ un tiers que celui d’un porc élevé de façon traditionnelle. Même chose pour une dinde élevée au pâturage par rapport à une dinde élevée dans un élevage industriel. Cela vient essentiellement du fait que ce porc ou cette dinde grossissent moins vite, mangent donc davantage et sont abattus plus tard.

Cela ne signifie évidemment pas qu’il faut privilégier les animaux issus des élevages industriels, qui sont source de bien d’autres problèmes environnementaux. Ce constat ne se limite pas aux produits de l’agriculture. Pour les amoureux du bon pain, sachez que la boulangerie industrielle concentrée dans des usines spécialisées produit moins de GES au kilo de pain qu’un boulanger artisanal. En fait, par le jeu des économies d’échelle, l’industrialisation et la concentration des activités économiques favorisent systématiquement la diminution des émissions de GES, ce qui peut aller à l’encontre d’autres objectifs, particulièrement ceux liés au développement d’une économie diversifiée et harmonieusement répartie sur tout le territoire.

Le second problème concerne les viandes désignées comme émettant moins de gaz à effet de serre (GES). Pour aller vite, disons que porcs et volailles affichent de ce point de vue des bilans carbone nettement meilleurs que tous les herbivores polygastriques, comme les vaches et les moutons. Cela vient beaucoup du méthane produit par ces animaux pendant leur digestion. Malheureusement, cette désignation par les espèces masque les profondes différences pouvant exister entre les systèmes d’élevage. Porcs et volailles sont nourris avec des « moulées » composées de céréales (comme le blé ou le maïs) et d’oléo protéagineux (comme le soya ou le pois). Tous ces produits sont cultivés sur des terres arables et pourraient être consommés directement par les humains. Les herbivores, lorsqu’ils sont élevés selon leur physiologie, consomment de l’herbe. Dans de nombreux endroits sur la planète, cette herbe pousse sur des terres peu fertiles ou trop pentues (dans le cas des montagnes), qui ne sauraient être labourées pour produire d’autre chose. À ce titre, il n’y a pas d’équation simple indiquant que, si chaque habitant consomme moins de viande, cela va libérer des hectares pour cultiver des céréales, des légumineuses ou des fruits. Par ailleurs, le bilan agroécologique global des surfaces de prairie naturelle, en matière de durabilité des sols, d’utilisation d’engrais, de pesticides, ou encore de biodiversité, est infiniment meilleur que la production intensive de maïs ou de soja, quand bien même ce maïs et ce soja viennent nourrir des poulets dont l’empreinte carbone est plus faible.

L’indicateur des émissions de GES, pris isolément, présente donc les mêmes inconvénients que tout indicateur unique. De la même façon que le PIB reflète mal la complexité du développement socioéconomique, le bilan carbone ne peut être à lui seul une boussole de nos actions. L’indispensable transition agroécologique ne passera pas par la substitution des élevages d’herbivores par la culture de légumes, mais par un inventaire critique et transversal des systèmes de production en vigueur et par la valorisation de systèmes agricoles diversifiés.

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