Perspectives démographiques et dynamiques territoriales

Le 11 juillet dernier, l’Institut de la statistique du Québec dévoilait les perspectives démographiques pour la période allant de 2016 à 2066 pour l’ensemble du Québec, et de 2016 à 2041 à l’échelle régionale. De ces données statistiques, Pierre Bernier, président de la firme de consultants Groupe Ambition, concluait que 200 municipalités portent les stigmates d’une mort annoncée d’ici 2025.
Il est hasardeux de prédire la mort d’un village.
Un tel pronostic n’est pas sans nous rappeler les déclarations de messieurs André Bérard, ex-président de la Banque Nationale, et Yves-Thomas Dorval, président du Conseil du patronat du Québec. Le premier suggérait en 1995 de fermer les régions aux prises avec un chômage chronique et une structure d’emplois saisonniers. Le second, pareillement inspiré, proposait en 2015 de déménager les familles des municipalités dévitalisées vers les régions où il y a de l’emploi, sous-entendant Montréal et Québec.
De tels propos tenus par des gens influents sont récurrents et peuvent avoir une incidence sur un gouvernement peu sensible aux questions d’occupation et de vitalité des territoires, comme en a fait la triste démonstration le gouvernement Couillard en abolissant les CLD, les CRE, la Politique nationale de la ruralité, la Coalition solidarité rurale du Québec et son réseau d’agents de développement rural, le Programme d’aide aux municipalités dévitalisées, etc.
Oh là ! C’est quoi, ce réflexe comptable à l’égard des régions ? L’occupation du territoire n’est pas une marchandise. Comme ils sont prompts, ces pseudo-experts, à prédire des scénarios apocalyptiques sur la base de portraits statistiques, obnubilés qu’ils sont par les promesses de lendemains qui chantent de la ville à croissance illimitée. Stop au dynamitage des régions ! Je connais bien les petites villes et les villages du Québec et le sens de l’indice de vitalité économique qui leur est appliqué. Depuis plus de 40 ans, j’étudie leur dynamique évolutive et sonde leur coeur.
Renaissance des régions
L’urbanisation accélérée depuis les années 1960 et principalement autour de Montréal et de Québec a fortement contribué à siphonner les ressources humaines et économiques des régions du Québec, notamment celles en périphérie, et à précipiter plusieurs municipalités rurales et petites villes dans la spirale de la dévitalisation. Mais étonnamment, les fermetures anticipées ne se sont pas concrétisées. Dévitalisées, fragiles, oui, mais toujours vivantes.
Trois-Pistoles, petite ville de services de quelque 3500 habitants, est dans la liste des 200 municipalités dont monsieur Bernier prédit la fermeture d’ici 2025. L’indice de vitalité de cette ville rurale témoigne de sa fragilité économique et démographique, mais masque une énergie sociale et culturelle à la source d’une dynamique locale étonnamment vivante et innovante : École d’immersion française de l’Université Western, service privé de traversier Trois-Pistoles–Les Escoumins, éventail de commerces de proximité, hôpital, CLSC, microbrasserie, fromagerie, équipements, services et activités touristiques, Festival de la chanson, excursions dans les îles, randonnées en kayak, sentiers de vélo, marina, bibliothèque, hébergement, restauration, agriculture biologique et transformation, conseil municipal valeureux, associations à caractère social et culturel nombreuses, etc. Un creuset d’initiatives, de solidarité et de dévouement qui pallie un certain déficit économique normé. Une dynamique underground qui « passe sous le radar » des indicateurs de l’indice de la vitalité économique. Et des dizaines et des centaines d’autres municipalités qui, discrètement, « habitent » leur territoire, accueillent de nouveaux résidents, dont plusieurs jeunes « monsieur Bernier », et recomposent une ruralité qui concilie innovation, vivre-ensemble, économie productive, économie présentielle et écologie. Je salue ici Gaspé, Amqui, Les plateaux dans La Matapédia, Saint-Mathieu-de-Rioux, Coaticook et tant d’autres.
Partout en région, il y a des femmes et des hommes d’appartenance, des gens de conviction et de courage, des citoyens de souche et de nouveaux arrivants qui contrarient le destin funeste que des « experts » lisent dans les séries statistiques.
Mais aussi et surtout, il y a des évolutions en cours qui confèrent une attractivité nouvelle à plusieurs régions du Québec, dont leurs petites villes, villages et territoires ruraux. Pensons à la dématérialisation d’une part croissante de l’économie, à la révolution numérique, au télétravail, à la quête d’une meilleure qualité de vie qui modifient les logiques du choix d’un lieu d’implantation tant des entreprises et des travailleurs que des familles.
Option enviable
La grande ville, avec ses multiples dysfonctionnements (congestion, pollution, stress, coûts élevés de l’habitation et des espaces à bureaux, environnement dégradé, insécurité…), n’apparaît plus comme le Graal de la civilisation. Pour plusieurs, les petites villes et territoires ruraux offrent une option enviable. On constate la montée d’un puissant « désir de campagne » qui entraîne une atténuation, sinon un renversement du mouvement d’exode rural des six dernières décennies, donnant lieu au phénomène nouveau d’exode urbain qui porte les germes d’une renaissance des régions intermédiaires et périphériques.
La fermeture des villages n’est pas une fatalité inscrite dans l’ordre des choses. Osons observer et comprendre les bouleversements en cours qui sont porteurs de nouveaux modèles d’occupation et de vitalité des territoires. Imaginons des politiques qui sauront accompagner les tendances émergentes en faveur des régions, comme on a su le faire depuis les années 1950 pour accompagner la croissance des grandes villes. Osons la prospective et l’audace dans les actions publiques.
Il n’y a pas de territoire sans avenir, il n’y a que des territoires sans vision ni projets.